Quelle est la nature de l’âme dans le Stoïcisme ?

âme stoïcisme - un regard stoïcien

Dans le Stoïcisme, l’âme est une réalité corporelle, qui donne forme à notre corps et l’anime. Comprendre sa nature et son fonctionnement permet de mieux vivre, de mieux se comprendre et de s’épanouir.

La naturel corporelle de l’âme

L’évidence de l’âme

Dans la philosophie stoïcienne, la question n’est pas de savoir si l’âme existe, mais comment elle fonctionne. L’existence de l’âme est en effet une évidence pour les stoïciens. Le terme ne renvoie pas à une entité métaphysique mais, au contraire, à un processus physiologique bien réel. « Âme » désigne :

  • la capacité des êtres à se mouvoir d’eux-mêmes ;
  • la réalité qui rend possible cette capacité de mouvement autonome.

Tout le monde peut ainsi s’accorder sur la réalité de l’âme, définie dans ce sens : levez le bras et vous en ferez l’expérience.

L’âme est une réalité physique

La vraie question est alors celle de la nature de l’âme et de son fonctionnement. Les stoïciens s’appuient sur les connaissances de l’époque et leurs observations. Ils proposent une véritable physiologie de l’âme.

Ils affirment (et déduisent) que l’âme est un corps car elle donne vie au corps humain et seul un corps peut agir sur un autre corps. Ils disent que ce corps est un souffle (pneuma). Il existe plusieurs types de souffles et le souffle de l’âme est propre aux bêtes et aux êtres humains. Ce souffle est un mélange de feu et d’air car ce sont des éléments actifs (contrairement à l’eau et à la terre), seuls aptes à donner forme et vie aux êtres vivants.

Ce souffle est une substance volatile, comme le gaz, la vapeur ou le feu. Il provient de l’exhalaison du sang, conséquence de la rencontre dans le corps de l’air froid que nous respirons et de l’air chaud à l’intérieur de nous. Finalement, il se propage dans le corps humain comme le feu se propage dans le fer, c’est-à-dire qu’il garde sa qualité propre (comme un feu qui se répand dans le fer), occupe le même espace que le corps humain (comme la chaleur dans le fer occupe le même espace que le fer) et anime ledit corps humain, qui demeure autrement une matière inerte.

« L’âme, qui a sa propre existence comme le corps qui la reçoit, est diffusée à travers l’ensemble du corps dans son mélange avec lui tout en conservant sa propre essence » — Stoicum Veterum Fragmenta II, 473.

Quelles sont les 8 parties de l’âme dans le Stoïcisme ?

L’âme est composée de 8 parties :

  • la partie directrice (hêgemonikon)
  • le toucher
  • le goût
  • la vue
  • l’ouïe
  • l’odorat
  • la voix
  • la partie reproductrice

La partie directrice (hêgemonikon), parfois nommée intelligence (dianoia) ou intellect (noûs), est le noyau central de l’âme. Les stoïciens la situent dans le coeur, à l’exception de Cléanthe, successeur de Zénon, qui considère qu’elle est dans le cerveau (notre conception moderne irait plutôt dans ce sens).

Les autres parties sont des extensions naturelles de ce noyau central. L’âme se déploie depuis le coeur dans nos sens, et nos sens renvoient à l’âme ce qu’ils saisissent, ce qui permet un échange d’informations (puis la réflexion et le passage à l’action).

À noter que le stoïcien Panétius considère que la partie reproductrice n’appartient pas à l’âme, car les plantes (qui n’ont pas d’âme car ce ne sont ni des bêtes, ni des êtres humains) peuvent aussi se reproduire, sûrement grâce à une partie reproductrice. Ainsi, pour Panétius, la partie reproductrice appartient à un autre type de souffle (le souffle naturel ou physique).

Comment fonctionne l’âme ?

Les 3 facultés du coeur (l’hégémonique)

La partie directrice de l’âme (hêgemonikon ) a 3 facultés (ou altérations) :

  • la représentation (phantasia), c’est-à-dire ce que nous percevons consciemment à partir de notre expérience ;
  • l‘impulsion (hormè), l’influx qui pousse à l’action et qui peut obéir à la raison ;
  • l’assentiment (sunkatathesis), la capacité à juger de la pertinence des impressions ou représentations.

Si ces 3 facultés sont parfois appelés altérations, c’est parce que les stoïciens considèrent qu’elles disposent l’âme dans un sens bien réel : l’âme prend la forme de son activité (comme la cire prend la forme du cachet ou l’air la forme du son en vibrant).

La relation de l’hégémonique à ses parties

Le fonctionnement de l’âme dépend entièrement de la partie directrice. C’est lui qui envoie une émanation vers les organes du corps associés à chaque sens : par exemple, la vue correspond au souffle qui part du coeur vers les yeux, l’ouïe au souffle qui part du coeur vers les oreilles, la voix au souffle qui part du coeur vers les organes permettant la parole, etc. En termes contemporains, on pourrait parler d’un influx nerveux.

Les stoïciens utilisent plusieurs images pour décrire le souffle qui va de la partie directrice aux 7 autres parties :

  • c’est un roi qui envoie ses messagers
  • c’est la source d’une rivière qui s’écoule
  • c’est le tronc d’un arbre qui se déploie
  • c’est l’araignée au centre de sa toile, informée de la moindre vibration
  • c’est le poulpe qui déploie ses tentacules

Une image contemporaine serait de considérer la partie directrice comme le système nerveux central (qui intègre les informations qu’il reçoit et influe sur l’activité du corps) et les 7 autres parties comme le système nerveux périphérique (qui a pour fonction de faire circuler l’information entre les organes et le système nerveux central).

L’hégémonique : le coeur de notre liberté

La partie centrale de notre âme garantie notre liberté : c’est grâce à cela que nous pouvons construire une citadelle intérieure qui protège notre « moi » des événements extérieurs. Marc Aurèle l’explique ici :

Que la partie directrice et maîtresse de ton âme demeure indifférente au mouvement qui se fait, doux ou violent, dans la chair ; qu’elle ne s’y mêle pas, mais qu’elle se cironscrive elle-même et qu’elle maintienne ces passions bornées aux membres. Lorsqu’elles se propagent à l’intelligence par un effet de la sympathie qui relie l’une à l’autre les parties de ta personne, car elle est indivise, alors il ne faut pas tenter de s’opposer à la sensation, phénomène naturel. Mais quant à l’opinion que ce serait un bien ou un mal, que la partie directrice ne l’ajoute pas d’elle-même.
Marc Aurèle, Pensées, V, 26

Vivre en stoïcien consiste ainsi à travailler les facultés de la partie directrice, via les 3 disciplines d’action :

  • la discipline du désir, dans nos représentations (partie physique) ;
  • la discipline de l’action, dans nos impulsions (partie éthique) ;
  • la discipline de l’assentiment, dans nos jugements (partie logique).

La nature rationnelle de l’âme

La raison : un assemblage de notions

Les stoïciens soutiennent aussi que l’âme est naturellement inclinée vers la raison (logos). Dans le Stoïcisme, la raison n’est pas une faculté, c’est d’abord un ensemble de notions (ennoiai). Ces notions peuvent être vraies ou fausses, leur ensemble n’en demeure pas moins une raison. Nous sommes ainsi tous dotés de raison (d’un ensemble de notions).

« Selon une direction plus parfaite, la raison est donnée aux êtres raisonnables, et on dit bien que pour eux, suivre la nature, c’est vivre selon la raison ; la raison est comme un artisan qui s’ajoute à l’inclination. »
Diogène Laërce, Vies et opinions, VII, 86

Qu’est-ce qu’une notion ? C’est une représentation rationnelle, c’est-à-dire une représentation qui peut être manifestée dans le langage et qui implique de reconnaître les qualités essentielles de l’objet représenté (ou, du moins, ce qu’on croit être les qualités essentiels). Avoir la notion d’une chose ne signifie pas forcément que nous ayons une connaissance précise de la chose. La notion peut rester floue. Par exemple, la notion de « cheval » correspond à l’idée que nous avons (pas forcément claire) de ce qu’est un cheval en général. Cette notion se manifeste lorsque l’on perçoit un cheval et que l’on s’exclame (ou pense) « ceci est un cheval ! ». Le cheval perçu est alors rangé dans la notion que nous avons de « cheval ».

« Nous sommes naturellement inclinés vers la raison »

Les notions apparaissent progressivement dans notre esprit. À la naissance, nous sommes comme une feuille blanche. Ce que nous avons en commun, c’est notre capacité à stocker des notions (notre capacité à devenir raisonnable). La répétition des expériences et l’apprentissage du langage développent progressivement notre système de notions. Petit, je vois un « cheval » pour la première fois. Puis une deuxième fois. J’associe progressivement ces expériences entre elles. Avec l’acquisition du langage, je parviens à exprimer ces expériences sensibles de « cheval» sous un même terme : « cheval ». Ma notion est là. C’est entre l’âge de 7 et 14 que se développe pour la première fois notre raison (système de notions) pour les stoïciens.

« S’il se trouve dans l’état qui est conforme à la Nature, le principe qui commande à l’intérieur de nous-mêmes est prêt, à l’occasion de tout ce qui peut arriver, à toujours s’adapter sans peine au possible et à ce qui lui est donné de faire. »
Marc Aurèle, Pensées, IV, 1

Si l’âme humaine est rationnelle, c’est donc parce qu’elle est naturellement disposée à stocker des notions et à en produire via des opérations de la pensée (des réflexions, dianoêseis). Les notions produites peuvent être plus ou moins précises. Une partie de la philosophie stoïcienne (la logique) consiste justement à ancrer les notions en nous via la définition des termes et des raisonnements valides. Une notion non définie (ou mal définie) est en réalité une prénotion. Une notion bien définie est une notion. Pour suivre correctement sa raison, il est donc nécessaire d’être au clair sur son contenu, c’est-à-dire sur ses notions. Il faut savoir les définir et les articuler entre elles dans un ensemble non contradictoire, pour éviter le tiraillement intérieur, accepter ce qui ne dépend pas de nous et agir convenablement sur ce qui dépend de nous.

La nature divine de l’âme

L’âme se comprend aussi en relation avec le reste du monde.

L’âme de l’univers et son continuum

Pour les stoïciens, l’univers est comme l’être humain : c’est un organisme vivant, formé et animé par une âme. L’âme de l’univers est structurée par un ensemble de « notions » en parfaite harmonie : ce sont les lois de l’univers (lois de la physique, de la chimie, de la biologie, de la psychologie, etc.). Dans l’univers, aucune notion n’entre en contradiction avec une autre (il n’y a pas de miracles ou de rupture dans la continuité d’une loi). Ainsi, les stoïciens voient dans cet univers parfaitement réglé et harmonieux une droite raison (un orthos logos).

« Tous nous collaborons à l’achèvement d’une seule oeuvre, les uns le savent et en ont conscience, les autres ne le savent pas. »
Marc Aurèle, Pensées, VI, 42

Or, cette droite raison de l’univers se compose aussi des lois propres à l’être humain. Le souffle propre à l’être humain est un fragment du souffle de l’univers. C’est d’ailleurs pour cela que l’être humain est capable de comprendre les lois de l’univers, ce qui n’est pas le cas des animaux, qui ne partagent pas ce souffle rationnel. La rationalité de l’être humain indique qu’il doit se conformer à la rationalité de l’univers pour s’épanouir en tant qu’être humain, c’est-à-dire développer en lui des notions agencées de façon harmonieuse, non-contradictoires ; ce qui n’est possible que s’il développe des notions vraies. Comment atteindre ces notions vraies ? Par le raisonnement et la compréhension.

« Nous disons que les événements s’ajustent à nous (sumbainein), comme les maçons le disent des pierres carrées, dans les murs ou les pyramides, quand elles s’adaptent bien entre elles dans une combinaison déterminée. »
Marc Aurèle, Pensées, V, 8, 3

Les 4 types de souffle

Les stoïciens considèrent que l’âme de l’être humain s’inscrit dans la continuité des autres types de souffles de l’univers, tout en étant la plus complexe et la seule qui soit dotée de rationalité. Les 4 types de souffle sont :

  1. Le souffle de cohésion (hexis). Il assure la cohésion des minéraux, du bois et des os, l’agencement de la matière en vue d’une certaine forme.
  2. Le souffle de croissance (phusis). Il assure une fonction de nutrition et de croissance, que ce soit pour les végétaux ou les ongles, poils et cheveux de l’être humain.
  3. Le souffle psychique (psychè). Il permet la sensation et l’impulsion. Les animaux et l’être humain en sont dotés.
  4. Le souffle rationnel (logike psychè). Il donne le pouvoir de penser, de former des notions. L’être humain le développe naturellement entre 7 et 14 ans.

L’expérience humaine est rendu possible par la combinaison de ces 4 souffles matériels, qui sont tous le résultat d’un processus physico-chimique.

L’âme survit-elle après la mort dans le Stoïcisme ?

La mort est la séparation du corps et de son âme. C’est la chaleur qui quitte le fer. L’âme survit, mais elle n’est pas éternelle.

Pour Chrysippe, l’un des chefs de l’école stoïcienne, la durée de vie de l’âme dépend de son degré de sagesse : plus l’âme est figée dans une disposition vertueuse, plus longtemps elle demeure. D’après les sources, l’âme prendrait une forme sphérique et terminerait ses jours dans les étoiles ou autour de la lune. Il ne s’agit pas d’une croyance, mais d’une conséquence logique de la description très physique de l’âme. Si l’âme est un corps et que ce corps se solidifie en acquérant un système de notions (une raison) harmonieux et correctement structuré, alors ce corps dure plus longtemps qu’un corps avec de faibles notions. Un grelon met plus de temps à se dissiper qu’un flocon de neige.

Au plus, l’âme du Sage survit jusqu’à la conflagration (ekpurosis) de l’univers, un événement périodique qui arrive tous les 18 000 ans, durant lequel l’univers disparaît dans le feu, avant de réapparaître à l’identique. C’est une forme d’éternel retour : nous revivons alors nos vies à l’identique, ou bien avec quelques rares fluctuations (les stoïciens ne sont pas d’accord entre eux).

Les choses étant ainsi, il est évident qu’il n’y a rien d’impossible à ce que nous-mêmes, après notre mort, nous soyons rétablis de nouveau après une certaine période de temps dans cette forme sous laquelle nous sommes maintenant.
Chrysippe, Sur la providence (Lact., Div. inst., VII, 23 = SVF, II, 263)

Cette conception, qui a toujours fait débat dans l’école stoïcienne, pourrait surprendre les stoïciens contemporains qui découvrent la doctrine. À l’instar de Zénon de Tarse et Diogène de Séleucie, il n’est cependant pas nécessaire de se positionner dans ce débat pour adhérer au reste de la doctrine stoïcienne. Ce qui arrive après la mort ne détermine pas ce qui doit arriver pendant notre vie : il faut agir avec vertu et la vertu est notre propre récompense. Le paradis se situe sur terre, dans l’expérience de vie que procure une âme vertueuse.

Que faut-il retenir de la conception stoïcienne de l’âme dans le Stoïcisme contemporain ?

Aujourd’hui, la conception stoïcienne de l’âme est dépassée sur certains points. Cependant, cela ne l’a pas empêchée d’avoir un certain pouvoir thérapeutique et de soigner de nombreux troubles intérieurs.

Dans la pratique du Stoïcisme contemporain, je pense que nous pouvons retenir les choses suivantes de la conception stoïcienne de l’âme :

  • l’âme est une réalité physico-chimique ;
  • l’âme humaine est rationnelle et c’est sa caractéristique fondamentale ;
  • les facultés centrales de l’âme sont la représentation, l’impulsion et l’assentiment ;
  • l’âme humaine s’épanouit quand ses notions sont bien définies et en harmonie les unes avec les autres (pas de conflits intérieurs) ;
  • l’âme doit être considérée au regard des avancées de la science.

Libre à vous de garder ou non ces points, et d’en ajouter à la liste. Ceci n’est qu’une ébauche, qui appelle à une actualisation plus poussée de la physique stoïcienne, ô combien importante pour comprendre la façon dont l’éthique peut s’articuler à la réalité physique de notre monde.


Cet article s’appuie en partie sur l’excellent livre de Jean-Baptiste Gourinat : les stoïciens et l’âme.

les stoïciens et l'âme Gourinat 1
les stoïciens et l'ame Gourinat 2

Un commentaire sur “Quelle est la nature de l’âme dans le Stoïcisme ?

  1. Intéressant. Une âme qui est un principe de direction en soi pour correspondre à la volonté d’un Dieu qui se dit dans la nature et les évènements. En gros, aller dans le sens des évènements avec la possibilité d’infléchir ou d’imprimer de la nouveauté aux évènements, dans un sens plus humain, plus raisonnable et plus juste comme Dieu est Juste et Raisonnable. Un principe de vie immortel, mais, pas éternel comme chez les Chrétiens. Avec un  »Je » plus près des Monothéistes et des Hindous que des Bouddhisme qui conçoivent l’âme comme un agrégat qui se dissout.

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