Stoïcisme et pornographie

Les stoïciens modernes doivent-ils s’abstenir de consommer de la pornographie ?

Les stoïciens n’ont, a priori, jamais parlé de pornographie. Pour autant, ils ont étudié le désir, le plaisir, la modération, la Justice, le Bien… Leur système conceptuel – l’éthique de la vertu – permet en réalité d’appréhender à peu près tous les sujets. Ainsi, la pornographie n’échappe pas à la règle et, malgré le manque cruel d’études scientifiques sérieuses sur ce thème, un discours éthique à partir des sources stoïciennes s’avère possible. C’est l’objectif de ce billet.

1. QU’EST-CE QUE LA PORNOGRAPHIE ?

Il n’est pas aisé de définir la pornographie. Les rares chercheurs en études pornographiques (porn studies) ne sont arrivés à aucun consensus tant le mot désigne des choses différentes. Quel rapport, en effet, entre le papyrus érotique de Turin vieux de 3000 ans, le Kamasutra, un texte du Marquis de Sade et une vidéo réalisée par les plus gros studios de production actuels ?

Dans son Introduction aux porn studies, François-Ronan Dubois propose « d’utiliser un principe provisoire, insatisfaisant mais en partie fonctionnel : est pornographique tout document qui représente explicitement au moins un acte sexuel ». À ce titre, tous les documents susnommés sont pornographiques. Et si cette définition dispose de certaines qualités heuristiques, ce n’est toutefois pas celle que nous allons retenir dans le cadre de cet article. 

La définition que je propose de la pornographie est la suivante : tout document qui sexualise de façon explicite son propre contenu, c’est-à-dire qui produit et/ou diffuse un contenu en vue de provoquer l’excitation sexuelle du public auquel il se destine.

À la différence de la définition de François-Ronan, cette définition permet, d’un côté, d’exclure des œuvres comme celles du Marquis de Sade (écrit avec une intention philosophique et non d’excitation sexuelle) ; de l’autre, d’inclure des œuvres qui ne représentent pas d’acte sexuel mais n’en demeurent pas moins destinées au plaisir du consommateur (les vidéos représentant de simples corps nus d’une façon plus ou moins esthétisée par exemple).

Dans tous les cas, cet article interroge la relation du consommateur à son objet pornographique à partir des textes stoïciens. Le mot pornographie renverra en premier lieu aux vidéos pornographiques disponibles sur Internet, mais le lecteur pourra facilement étendre le propos à toute oeuvre qui stimule son appétit sexuel.

2. LA PORNOGRAPHIE SOUS L’ANGLE DE LA JUSTICE

Selon la classification de l’école du Portique, la pornographie appartient à la catégorie des indifférents. Les indifférents désignent tout ce qui n’a aucune valeur morale en soi, dans l’absolu. Ils ne sont ni le Bien, comme peut l’être la Vertu ; ni le mal comme peut l’être le vice. Cela signifie que c’est notre rapport à la pornographie qui exprime le Bien ou le mal, et non la pornographie elle-même, qui demeure aussi moralement indifférente qu’un tabouret, que notre réputation ou qu’une catastrophe nucléaire. Le Bien renvoie aux vertus (justice, modération, courage, prudence), à une forme d’excellence de caractère, de santé mentale, qui permet notre propre bonheur. Le mal renvoie aux vices (les opposés des vertus), à une forme de faiblesse intérieure qui nous rend malheureux et soumis aux événements extérieurs. 

Pour les stoïciens l’être humain doit œuvrer au bien commun : une action ne peut pas être bonne pour soi si elle n’est pas bonne pour les autres. Ainsi, alors que la consommation de pornographie est souvent étudiée sous le prisme de ses effets néfastes pour le consommateur, il est en réalité tout aussi important de s’interroger sur ses éventuels effets néfastes pour la société et les acteurs/actrices eux-mêmes. La vertu de la Justice entre en jeu. La question qui se pose est la suivante : une œuvre pornographique peut-elle être réalisée de façon éthique ?

Soyons clairs : la plupart des vidéos pornographiques disponibles sur Internet ne respectent pas les règles les plus élémentaires d’éthique. Les productions les plus consommées mettent en scène des situations de domination masculine, simulant viols, incestes, abus de pouvoir et d’autorité… où le consentement des acteurs et des actrices n’est pas du tout établi, ni de façon intradiégétique, ni de façon extradiégétique. Ce n’est pas sans raison que pornographie signifie littéralement « écrit sur les prostitués » (pornê : prostituée ; graphê : écriture). Elle implique, bien souvent, une marchandisation du corps au détriment du sujet pensant. De nombreux témoignages soulignent à quel point le consentement peut être forcé avant le tournage ou pendant celui-ci, par peur, pression sociale, économique, mensonge par omission, etc.

Dans une récente interview, l’ex-actrice pornographique Mia Khalifa parle de la « plus grosse erreur de sa vie » et dénonce les abus du milieu

La série documentaire Hot Girls Wanted (sur Netflix) donne un bon aperçu de ces pratiques industrielles vicieuses qui méprisent les règles les plus élémentaires d’éthique. Récemment, le témoignage de l’ex-actrice pornographique Mia Khalifa dénonçait la violence du milieu (voir vidéo ci-dessus). En plus de cela, les liens entre pornographie et trafic d’êtres humains sont démontrés par de nombreuses enquêtes. Pour toutes ces raisons, en l’absence de certitudes sur l’origine d’une vidéo, il est préférable de s’abstenir pour ne pas nourrir le vice et le crime des réseaux de prostitution et de traite. 

Quand on fait une faute contre quelqu’un, on en commet une aussi contre soi-même ; en faisant tort à autrui, on se fait en même temps un tort personnel, puisqu’on se pervertit.

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même (IX.IV)

Enfin et surtout, pour respecter l’idéal adelphique stoïcien faisant de chaque être humain un frère ou une sœur, il faut s’interroger sur notre propre rapport aux acteurs et actrices de films pornographiques. Accepterions-nous que l’un des membres de notre famille participe à de telles réalisations ? Il ne s’agit aucunement d’être moralisateur ici, ou de s’imaginer une réponse visuelle hors-à-propos pour se dégoûter, mais simplement, comme le recommandent parfois les stoïciens, de se fier à nos intuitions morales. Le fait de considérer comme membres de la famille, au premier degré, tout autre être humain permet de mieux saisir cette intuition morale et d’inscrire  notre relation à autrui dans un cadre éthique qui guide assez clairement nos actions.

La perception qu’on se fera des acteurs et actrices pornographiques dépend alors de la constitution et des connaissances de chacun. Entre l’acceptation et le refus total de toute pornographie, de nombreuses réponses nuancées sont possibles. Peut-être que certaines réalisations apparaîtront plus éthiques que d’autres et qu’on préférera celles-là si on devait s’imaginer que les performeurs et performeuses appartiennent à notre famille. Peut-être que certaines scènes, précisément, nous paraissent plus raisonnables que d’autres. En réalité, je pense que, pour les consommateurs de pornographie, cette intuition morale les conduirait à, sinon s’abstenir, du moins se tourner vers les formes les plus éthiques de la pornographie, à négliger les vidéos aux origines obscures.

Pour l’humanité, le mal est l’injustice, la cruauté et l’indifférence à l’égard des problèmes d’un voisin, tandis que la vertu est l’amour fraternel, la bonté, la justice, la bienfaisance et le souci du bien-être de votre prochain.

Musonius Rufus, Comment vivre ?

Il est donc indispensable, pour agir de façon juste, de s’informer sur les conditions de production des réalisations que l’on consomme et de prendre un recul nécessaire pour s’orienter sur les formes les plus éthiques de pornographie. Il convient également de s’informer sur la politique des plateformes de diffusion que l’on soutient à travers nos visites en tant qu’internaute, car même si une vidéo est « éthique », la plateforme qui l’héberge, elle, ne l’est peut-être pas. Sans cela, le risque de nourrir un marché inhumain, et donc d’agir de façon vicieuse par ignorance, est trop important.

3. LE DILEMME DE LA PORNOGRAPHIE ÉTHIQUE

Mais qu’est-ce qu’une pornographie éthique ? L’interprétation que je vais proposer reste ouverte à la discussion. Dans le cadre du stoïcisme, il s’agirait, à mon avis, d’une production dans laquelle le consentement des acteurs et actrices est aussi lucide que possible et qui aurait pour ses derniers la valeur d’un indifférent préférable ou d’un indifférent neutre. Ce critère incite à tenir compte de la subjectivité desdits acteurs et actrices, à les considérer comme des êtres rationnels et raisonnables qui cherchent simplement ce qui est le mieux pour eux. Comme le souligne Martha Nussbaum dans The therapy of desire, l’École stoïcienne reconnaît la valeur intrinsèque du raisonnement individuel et accorde un grand respect à la raison présente en chacun de nous.

Cela implique de se poser les questions suivantes : les actrices/acteurs consentent-ils en-dehors de toute contrainte (liberté de choix professionnel, situation financière convenable, absence d’antécédents psychiatriques/de traumatismes qui pourraient forcer le consentement, etc.) ? Sont-ils conscients des risques physiques et psychologiques du métier ? Sont-ils libres d’adapter le scénario ? Peuvent-ils rationaliser leur choix ? Plus les acteurs sont conscients et réflexifs, plus leur consentement est lucide et plus la production pornographique sera éthique. Plutôt qu’une binarité (éthique/pas éthique), il faut donc plutôt voir cela comme un gradient ; de même qu’aucune personne n’est jamais à 100% éthique (à l’exception très rare du Sage).

Certaines productions féministes, qui accordent une importance capitale aux conditions de tournage, se rapprochent de cette perspective. La réalisatrice Anoushka, déclare par exemple dans cet article de TV5Monde :

Ici, les salaires sont égalitaires, on est tous sur le même bateau, l’équipe technique, les performeurs. C’est plus qu’un simple tournage. C’est une aventure humaine. Quand ça touche à l’intime, il faut savoir prendre le temps de nouer des amitiés, de faire des connaissances, d’expliquer, de rassurer pour telle ou telle scène. Si cela doit prendre du temps et bien, on prendra le temps.

Sans partager l’idée du féminisme libéral que la pornographie pourrait émanciper ou libérer les femmes (après tout, pour un stoïcien, seule la discipline philosophique permet cela), les productions les plus éthiques tiennent compte de l’humanité des personnes impliquées, cherchent à être justes, bienveillantes, compréhensives. On peut donc considérer que consommer cette forme de pornographie, sur les plateformes adéquates qui n’hébergent pas de vidéos aux valeurs contraires, ne nuit pas de façon vicieuse à d’autres êtres humains. Pour donner un exemple différent de pornographie dont les conditions de production sont absolument éthiques, on pourrait citer le cas plus particulier du cartoon (hentaï, 3D, dessins animés…). En étant entièrement réalisées sur ordinateur, ces vidéos ne contraignent absolument personne et ne marchandent aucun corps réel.

La position stoïcienne à ce sujet se situerait donc à mi-chemin entre celle du féminisme radical et celle du féminisme libéral. Primo, la pornographie n’est pas toujours vicieuse car elle dépend d’une certaine manière du niveau de sagesse des réalisatrices et réalisateurs, qui doivent créer les conditions nécessaires pour que le consentement des acteurs et des actrices soit aussi lucide que possible (« je consens parce que je comprends », dit le Stoïcisme) ; deuxio, la pornographie est largement un indifférent et même s’il s’agit d’une production éthique, elle n’aide pas nécessairement les performeurs et performeuses à s’émanciper ou à se libérer. C’est seulement la discipline philosophique qui permet cela. Une production pornographique sera d’autant plus éthique que les acteurs et actrices ont un rapport réflexif à leur pratique et qu’ils ne conçoivent pas cette dernière comme un obstacle insurmontable à leur tranquillité d’esprit. Il faut que leur pratique leur paraisse être un indifférent préférable ou neutre plutôt qu’un indifférent non-préférable. Pour ces raisons, une production pornographique éthique a tout intérêt à expliciter au consommateur, d’une façon ou d’une autre, les intentions du réalisateur ou de la réalisatrice, sa manière de fonctionner mais aussi à donner la parole aux acteurs et actrices après le tournage, pour mettre en évidence la lucidité de leur consentement et la réflexivité qu’ils entretiennent sur leurs pratiques. Sans ces informations, il est difficile d’évaluer le degré d’éthique d’une production. Encore une fois, tout cela fonctionne de façon graduelle (le 100% éthique n’existe pas ou, à défaut, est très rare) et chacun a sa part de responsabilité pour que la Justice soit respectée : réalisateurs, acteurs, consommateurs… 

4. PORNOGRAPHIE ET PROGRESSION MORALE

Toutefois, la possibilité d’une pornographie éthique (féministe, animée, dessinée ou autre…!), qu’il serait juste de regarder, n’implique pas, pour le disciple stoïcien, que sa consommation soit un indifférent préférable pour soi-même. Après avoir étudié l’angle de la Justice, il faut donc en venir à l’angle de la Modération et de la Prudence.

Consommer de la pornographie : quels effets ? 

Il existe peu d’études scientifiques sérieuses sur les effets de la pornographie. L’une des raisons, comme l’explique cette conférence Tedx de Gary Wilson, est que les groupes témoins manquent dans les protocoles d’enquêtes. Il est très difficile, voire impossible de trouver des hommes n’ayant jamais consommé de pornographie et il est aussi très difficile de trouver des hommes ayant arrêté d’en consommer ; et tout cela empêche de comparer sérieusement les consommateurs de pornographie avec les non-consommateurs. Reste que, parmi les effets reconnus d’une consommation (excessive généralement) de pornographie, on note : addiction  ; risque d’impuissance irréversible ; atténuation du plaisir et escalade vers des images de plus en plus extrêmes ; insatisfaction relationnelle ; appauvrissement de la santé mentale et émotionnelle… Le site yourbrainonporn.com compile les études les plus récentes à ce sujet. 

La conférence de Gary Wilson sur la pornographie

Avant d’aller plus loin, il est important de préciser la spécificité du plaisir pornographique. Ce dernier procure non seulement une décharge de dopamine plus importante que dans la plupart des autres petits plaisirs, mais il incite également à suivre nos impulsions premières. Lorsque la consommation de pornographie est ancrée dans notre quotidien et qu’aucune réflexivité ne l’encadre, un simple stimulus ou désir de jouir peut entraîner une réponse immédiate : celle de consommer des images hyper-stimulantes sexuellement. Pourquoi se l’empêcher puisque cela est possible ? Cette excitation en roue libre – ou presque – ne s’arrête qu’après l’orgasme… pour souvent mieux recommencer un autre jour. Soumis à ces pulsions, le consommateur est fortement incité par la biochimie de son cerveau à chercher des stimuli pouvant provoquer la même intensité de plaisir d’un jour à l’autre ; sachant que le cerveau s’habitue aux images si elles ne sont pas de plus en plus extrêmes, taboues et/ou nouvelles. On ne peut donc pas vraiment comparer le plaisir d’un bon repas, d’une soirée entre amis, d’un verre de vin et le plaisir pornographique. Les stoïciens parleraient ici d’un trouble de l’âme ; symptôme qui n’est pas le bonheur.  

Le choix de notre discipline face aux petits plaisirs

Néanmoins, on pourrait rétorquer qu’il est possible d’avoir une attitude réflexive sur sa propre consommation de pornographie. Peut-être que certains en ont une consommation très modérée, qu’ils se contentent des mêmes images soft, réalisées éthiquement, diffusées sur des plateformes éthiques et qu’ils ne voient aucun problème à cela ; comme un végétalien pourrait manger de la viande sachant que l’animal est mort de sa mort naturelle après avoir mené une vie paisible en pleine nature (selon la radicalité de sa position, toutefois). C’est ici qu’il faut distinguer deux formes différentes de la pratique philosophique. J’emprunte cette division à Massimo Pigliucci, qui, dans un excellent article sur les petits plaisirs, distingue les pratiquants stricts de la philosophie stoïcienne des pratiquants plus relâchés (lay, qui peut signifier laïque en anglais).

Dans cette conception, le pratiquant relâché peut visionner de la pornographie éthique si cela n’entrave pas sa progression à la vertu et qu’il est assuré de pouvoir garder la chose sous son contrôle. 

À l’inverse, pour le pratiquant strict, la consommation de pornographie n’étant généralement qu’une recherche de plaisir pour le plaisir lui-même, cela n’apporte rien à sa progression morale, à son bonheur, il s’en abstiendra donc. Cette ligne de conduite ne provient toutefois pas d’une connaissance abstraite et intellectuelle de l’idée que le plaisir n’est pas le bonheur mais d’une connaissance par corps. Si le corps et l’esprit sont arrivés à un niveau de contentement suffisant (notamment grâce à la philosophie pratique), ils observeront naturellement l’inutilité de certains plaisirs. Le désir s’orientera alors vers les choses nécessaires au bonheur. Bien entendu, atteindre cette position stricte sans la ressentir comme une ascèse – mais plutôt comme une heureuse libération – requiert un certain travail sur le corps et l’esprit. Il faut donc souvent la feindre pour l’obtenir.

Ces deux positions forment une gradation. Il est tout à fait normal de débuter le stoïcisme de façon relâchée, puis d’avoir une attitude de plus en plus strict vis-à-vis des petits plaisirs. Ce qui compte, pour le progressant, c’est le chemin parcouru sur cette ligne de progression.

Une approche indulgente du plaisir pornographique

Voyons plus en détail la position souple du stoïcisme, qui n’est pas un relâchement complet de l’âme pour les plaisirs du corps, mais, plutôt, l’art de ménager les petits plaisirs autotéliques (les indifférents neutres) dans une vie orientée vers la progression morale.

Dans son traité De la tranquillité de l’âme, Sénèque soutient qu’il faut alterner temps forts et temps faibles, jusqu’à inclure dans ces temps faibles des périodes d’ivresse (quoiqu’il entende ici probablement ce que les anglophones désignent par le terme tipsy – traduit par éméché ou pompette en français) :

Il ne faut pas non plus maintenir l’esprit dans une tension continuelle ; il faut qu’il condescende à se divertir ; Socrate ne rougissait pas de jouer avec de petits enfants ; avec un peu de vin, Caton donnait du relâche à son esprit fatigué des soucis du pouvoir ; et Scipion faisait mouvoir en cadence ce corps fait pour le triomphe et la guerre […] Il faut accorder du relâche à l’esprit ; une fois reposé, il se retrouvera meilleur et plus vif. Il ne faut pas trop exiger des terrains fertiles ; on les épuisera vite en voulant qu’ils produisent sans interruption […] Parfois une promenade en voiture, un voyage, un changement d’atmosphère lui rendront vigueur, ainsi qu’un banquet ou un peu plus d’abondance que de coutume dans la boisson ; on peut même aller quelquefois jusqu’à l’ivresse, non pour s’y noyer, mais pour s’y plonger ;  elle dissipe en effet nos soucis, et elle ébranle l’âme jusqu’au fond ; comme elle est un remède à certaines maladies, elle l’est aussi à la tristesse. Il n’en faut cependant pas abuser, pour que l’âme n’en prenne pas la mauvaise habitude ; et pourtant il faut parfois l’entraîner hors d’elle-même pour la rendre joyeuse et libre, et il faut savoir s’écarter pour quelques moments d’une sobriété morose.

De la tranquillité de l’âme (3 à 9)

Dans cette conception, le plaisir pour le plaisir (autotélique) ne semble pas être un obstacle à notre progression morale, à moins, comme le dit Massimo Pigliucci dans l’article cité plus haut, que « vous ne vous livriez d’une telle manière à ce loisir qu’il commence à interférer avec vos devoirs en tant qu’être humain. » Il prend l’exemple du jeu vidéo, qui devient problématique si son usage nous empêche de respecter nos devoirs et nos rôles en tant qu’être humain et qu’on néglige notre famille, nos amis, notre profession… Mais nous pourrions en dire de même avec la consommation de pornographie, de vin ou de n’importe quel autre vecteur de petit plaisir sans rapport direct avec le bonheur… 

La position radicale des Sages

Dans une position plus stricte du stoïcisme, il ne s’agit pas de ménager les petits plaisirs dans une vie tournée vers la vertu, mais de n’accepter les indifférents que s’ils nous aident de façon positive à pratiquer la vertu (les indifférents préférables). Le plaisir, s’il existe, n’est donc pas un plaisir recherché, même dans les temps faibles, mais un plaisir corrélé à la pratique de la vertu. Ainsi, toute action ayant pour finalité le simple plaisir est à éviter, car il nous détourne de ce qui est vraiment Bien pour soi. Sénèque explique :

Aussi les Anciens ont prescrit de rechercher la vie la plus vertueuse et non la plus agréable de façon que le plaisir soit non pas le guide mais le compagnon d’une volonté droite et bonne

De la vie heureuse (8)

Il dit aussi des plaisirs du Sage :

Les plaisirs des sages sont paisibles, mesurés, presque ternes, contenus et à peine remarqués ; ils viennent sans être appelés, et, bien qu’ils soient accourus d’eux-mêmes, ils ne sont point en honneur et sont reçus sans aucune joie

De la vie heureuse (12)

Le Sage n’irait donc certainement pas chercher le plaisir sexuel pour lui-même à travers la consommation d’une quelconque pornographie, aussi éthique soit-elle (sauf si un contexte extrêmement spécifique fait de cette action une bonne action, et non un simple indifférent neutre). On retrouve ce radicalisme chez d’autres auteurs. Épictète par exemple, est très critique des lectures de divertissement et de plaisir et on imagine, à travers cet extrait, qu’il le serait encore bien plus envers la pornographie aujourd’hui :

Pourquoi veux-tu lire, dis-moi ? Si tu vas jusqu’au bout de ta lecture pour te charmer l’esprit ou pour apprendre, tu es bien vain et misérable. Si tu rapportes la lecture au but qu’elle doit avoir, qu’est ce but sinon le bonheur ? Mais si la lecture ne te procure pas le bonheur, à quoi sert-elle ? – Mais elle me le procure et c’est pourquoi je suis fâché d’en être privé. – Quel est ce bonheur que n’importe qui peut interrompre, je ne dis pas César ou un ami de César, mais un corbeau, un joueur de flûte, la fièvre et mille autres choses ? Or le bonheur est avant tout chose continue et sans interruption.

Entretiens (IV, IV, 4 – 5)

Il dit aussi des relations sexuelles sans modération, et on pourrait en dire autant de la consommation de pornographie – même éthique – qui entretient une certaine dépendance à la substance qui provoque la stimulation sexuelle  :

Lorsque vous succombez à quelqu’un dans le commerce charnel, ne pensez pas qu’il y ait là une unique défaite, pensez que vous avez entretenu et accru votre incontinence. Il est impossible que les actes correspondants ne fassent pas naître des habitudes et des dispositions, si elles n’existaient pas auparavant ou, sinon, ne les augmentent et ne les renforcent.

Entretiens (II, XVIII, 6-7)

Et encore, rappelant qu’il y a toujours un choix possible :

Un autre désire une jolie femme ; tu as, toi, la faculté de ne pas la désirer.

Entretiens (IV, IX, 3)

Pour donner un dernier exemple du rapport très critique des stoïciens à l’agréable des sens, Cicéron condamnait même les professions ayant pour finalité le plaisir. Les métiers de la pornographie trouveraient indéniablement leur place dans la liste ci-dessous :

Avant tout, il faut condamner les métiers qui servent à nos plaisirs, « marchands de poissons, bouchers, cuisiniers, charcutiers, pêcheurs », comme dit Térence. Qu’on y ajoute, si l’on veut, les parfumeurs, les danseurs, les joueurs de dés.

Traité des devoirs (I, XLII, 150)

On remarque donc que les stoïciens critiquent de façon assez unanime le plaisir autotélique. C’est que le plaisir n’est pas le bonheur : il est éphémère, parfois instable, parfois troublant ; tandis que le bonheur est une joie continuelle, une forme de sourire intérieur proche de l’attitude zen, du nirvana, un sentiment de plénitude continuel. « Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des sages », exprime joliment Barbey d’Aurevilly.  En même temps, les stoïciens ont conscience que l’évolution morale doit être progressive et c’est pour cela qu’ils sont parfois indulgents envers les petits plaisirs. Le progressant ne peut pas supprimer d’un seul coup ce que la société, son éducation et son entourage lui ont fait percevoir comme un bien en soit. 

Massimo Pigliucci, en conclusion de son article, explique qu’il faut considérer les indifférents préférables/non-préférables comme une gradation : « au minimum, un indifférent est préféré s’il n’entrave pas de façon positive l’exercice de la vertu ; à l’extrême opposé, les indifférents ne sont préférés que dans la mesure où ils nous aident directement à pratiquer la vertu. » Aucune moralisation ici : chaque progressant se situe à un endroit différent sur cette ligne et chacun mène son propre combat intérieur. Même si Socrate, Caton le Jeune ou Diogène le Cynique (trois modèles de sagesse pour les stoïciens) ne consommeraient assurément pas de pornographie, ce qui compte, ce n’est pas la position, mais le mouvement de progression.

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L’algorithme stoïcien modernisé de prise de décision, par Massimo Pigliucci

5. LES EXERCICES STOÏCIENS PAR RAPPORT À LA PORNOGRAPHIE

Étant donné la difficulté de trouver des productions pornographiques aussi éthiques que possible, l’incertitude de pouvoir contrôler une éventuelle addiction, la tentation de se tourner vers des images de plus en plus extrêmes pour compenser l’atténuation de l’excitation sexuelle, le malaise qui peut survenir lorsqu’on applique la vision adelphique,  et les nombreux autres risques évoqués, et le fait qu’un stoïcien se doit d’être en constante progression, certains lecteurs voudraient peut-être à présent changer leur rapport à la pornographie. Il peut en effet sembler plus simple de s’abstenir de la pornographie que d’essayer en avoir un usage contrôlé (ce qui demande, en réalité, une grande maîtrise de soi) ; autrement, cela revient à vouloir consommer de la drogue sans se rendre dépendant de ladite drogue et sans nourrir un marché vicieux. 

Cet article serait donc incomplet s’il n’abordait pas l’angle pratique, valable pour la position souple comme pour la position radicale du stoïcisme. Nous pourrions citer de nombreux exercices stoïciens, comme la vision d’en haut, la visualisation négative, le memento mori pour mieux employer ses temps forts et ses temps faibles, et d’autres encore … Mais je vais simplement présenter trois exercices ou techniques stoïciennes à partir de textes ciblant de près ou de loin la volupté. L’objectif n’est pas d’être exhaustif mais de donner un aperçu de ce qu’il est possible de faire.

Exercices de lucidité : désir et aversion

Le premier exemple vient d’Épictète. Pour savoir si nous sommes« vaincu[s] ou non par nos représentations » (on dirait dépendant aujourd’hui), il suggère la chose suivante :  

Je suis incliné vers le plaisir ; pour m’exercer, je ferai ballotter le navire en sens inverse et non sans excès […] Exerce-toi à faire du vin un usage convenable, non pas pour boire beaucoup (il y a bien des maladroits qui s’y exercent), mais d’abord pour t’en priver ; exerce-toi à t’abstenir d’une fille. Puis un jour, à titre d’épreuve, tu trouveras toi-même l’occasion d’affronter le combat pour savoir si tu es encore vaincu par tes représentations. Mais d’abord éloigne-toi de celles qui sont trop brutales. Un combat entre une jolie fille et un jeune philosophe débutant est un combat inégal.

Entretiens (III, XII, 7 à 12)

Pour le dire autrement, Épictète invite d’abord à modérer les plaisirs (« exerce-toi à faire du vin un usage convenable ») en vue de ne plus s’y soumettre (« pour t’en priver ») ; puis, de s’y confronter, soit en laissant le Destin faire, soit en provoquant la tentation (« tu trouveras toi-même l’occasion d’affronter le combat »), pour voir si on résiste à ce plaisir. Dans le cadre de la pornographie, on pourrait par exemple imaginer une consommation progressivement réduite jusqu’à zéro, puis maintenir cette non-consommation pendant plusieurs jours/semaines/mois/années, puis, au temps voulu, visionner une vidéo pour évaluer notre résistance à la représentation. L’enseignement paradoxal de cet extrait est en somme : « choisis de te soumettre à la tentation que lorsqu’elle n’est plus tentation ».

Cette méthode paraît également utile pour évaluer notre addiction. Marc Aurèle dit :

Quant à ceux qui ne se rendent pas compte des mouvements de leur âme propre, c’est une nécessité qu’ils soient malheureux.

Pensées pour moi-même (II, VIII)

Si l’on rencontre des difficultés pour mener une abstinence ou une modération à son terme, c’est qu’une certaine dépendance existe. L’exercice ne peut qu’être bénéfique pour se rendre compte de l’intensité de cette dépendance.

La technique d’objectivation et de dévaluation

Marc Aurèle expose d’ailleurs de nombreuses techniques de mise à distance de certaines émotions ou pulsions dans ses écrits. Dans le livre III de ses méditations, il dit :

Aux préceptes dont j’ai déjà parlé, qu’un autre encore soit ajouté : se faire toujours une définition et une description de l’objet dont l’image se présente à l’esprit, afin de le voir distinctement, tel qu’il est en sa propre essence, à nu, tout entier à travers tous ses aspects, et se dire en soi-même le nom particulier qu’il a, et les noms des éléments dont il est composé et dans lesquels il se résoudra […] Il faut aussi se demander quel est cet objet, de quels éléments il est composé, combien de temps doit naturellement durer cet objet qui occasionne présentement en moi cette représentation, de quelle vertu j’ai besoin par rapport à lui, de douceur, par exemple, de courage, de bonne foi, de simplicité, de maîtrise de soi, etc. […] je vise en même temps, dans les choses indifférentes, à leur attribuer leur valeur relative.

Pensées pour moi-même (III, XI)

Dans ce cadre, quand une pulsion de consommation de pornographie survient, il peut être utile de mettre son esprit en pause, de décrire le phénomène qui arrive et de comprendre la finalité de cette pulsion, qui, comme toute finalité pulsionnelle, est inutile au bonheur. Décrire simplement les phénomènes qui se déroulent permet de les atténuer : « je ressens cela, ce qui crée un désir d’observer cela, mais une fois cela fait, je me sentirai comme ceci, etc. », et de décrire à chaque fois de la façon la plus objective et détaillée possible ce qu’il se passe dans l’esprit. C’est seulement en verbalisant les pulsions qu’on peut les analyser sous une forme propositionnelle et consentir ou non aux propositions ainsi formées, et lutter avec les vertus adéquates. 

On a souvent dit de Marc Aurèle – Pierre Hadot le premier –, qu’il utilisait cet exercice pour l’accouplement, décrit comme « le frottement d’un boyau et l’éjaculation, avec un certain spasme, d’un peu de liquide gluant » (VI, XIII). En fait, il ne s’agit aucunement d’objectivation ici mais d’un exercice encore différent, la dévaluation. Ce n’est pas la vérité de l’objet qui est cherché, mais le point de vue qui permet de s’en dégoûter ou distancier. Je rejoins en cela l’analyse de Pierre Vesperini dans Droiture et mélancolie. Cicéron lui-même évoque cet exercice de la dévaluation et son intérêt thérapeutique :

Ainsi le remède qu’il faut ici employer, c’est de montrer combien l’objet du désir est futile, méprisable et de nulle valeur, combien il est facile de l’atteindre ailleurs ou autrement, ou même de le négliger tout à fait.

Tusculanes (IV, XXXV, 74)

Je pense tout de même, contrairement à Pierre Vesperini, que l’objectivation et la dévaluation sont deux techniques qui coexistent au sein des méditations de l’empereur philosophe. Dans tous les cas, il est possible, à travers ces exercices, de suivre l’exemple de Marc Aurèle pour atténuer les pulsions en lien avec la consommation de pornographie.

Mettre en relief son principe directeur

Pour terminer, il semble important de rappeler que nous devons éduquer notre principe directeur, qui fixe le cap dans l’âme, qui ordonne nos désirs vers un seul but, à savoir la sagesse pour le philosophe. Pour chaque action, il faut se demander : « à quel but cet homme rapporte-t-il cette action ? » (X, XXXVII), cet homme étant à la fois autrui et soi-même. Si je désire être un Sage, mon action pulsionnelle hédoniste témoigne d’un écart de conduite par rapport à mon principe directeur.

Marc Aurèle explique très bien cela, lorsqu’il évoque les altérations du principe directeur à partir du plaisir de la chair :

Voici la quatrième aberration que tu dois te reprocher à toi-même : c’est que ta conduite résulte de la soumission et de l’assujettissement de la partie la plus divine de toi-même à la partie mortelle et la moins estimable, à ton corps et à ses grossières voluptés.

Pensées pour moi-même (XI, XIX).

Cette posture, plus proche d’un stoïcisme radical que d’un stoïcisme souple, se retrouve ailleurs dans les méditations. L’empereur s’inquiète par exemple que sa faculté de commandement de l’âme soit troublée par son corps :

Qu’est pour moi mon principe directeur ? Qu’en fais-je pour l’instant, et à quelle fin l’emploie-je pour l’instant ? N’est-il pas privé d’intelligence ? N’est-il pas détaché et arraché de la communauté ? N’est-il pas adhérent et mêlé à la chair, de manière à en suivre les agitations ?

Pensées pour moi-même  (X, XXIV).

Ainsi, méditer et se demander pourquoi je regarde de la pornographie ? Quelle est l’utilité de cela ? Est-ce que je suis le cap que je me suis fixé, littéralement le sens de ma vie, dans cette action ? Etc. permet de mieux se recentrer sur soi-même. Marc Aurèle dit aussi au livre VIII :

Resserre-toi sur toi-même. Le principe raisonnable qui te dirige a pour nature de se suffire à lui-même en pratiquant la justice et, en agissant ainsi, de conserver le calme.

Pensées pour moi-même (VIII, XXVIII)

Et juste après, il présente un exercice de pause mentale :

Efface l’imagination. Arrête cette agitation de pantin. Circonscris le moment actuel. Comprends ce qui t’arrive, à toi ou à un autre. Distingue et analyse, en l’objet qui t’occupe, sa cause et sa matière. Pense à ta dernière heure. La faute que cet homme a commise, laisse-la où la faute se tient.

Pensées pour moi-même (VIII, XXIX)

À travers ces exemples, l’essentiel est dit. Ce qui compte, c’est la volonté continuelle de progresser. Les exercices de réflexivité, de mise à distance des pulsions, de densification du principe directeur doivent nous permettre un meilleur rapport à nos désirs et à nos plaisirs.

6. CONCLUSION

Dans une métaphore souvent commentée, Épictète explique que la bonne attitude à avoir lors d’un festin est de ne pas rechercher le plat que l’on désire mais de simplement tendre la main au plat qui arrive à soi. Il ajoute plus loin que si l’on ne prend rien de ce que l’on nous sert, que l’on considère cela avec indifférence, on sera alors non seulement le convive des Dieux, mais aussi leur collègue. Cet exemple symbolise les deux attitudes différentes que nous avons abordées au cours de l’article : celle qui considère les indifférents comme préférables ou neutres dès lors qu’ils se présentent à soi et ne nuisent pas au développement moral et celle qui considère les indifférents comme des choses absolument négligeables. La première attitude se veut souple, la seconde plus radicale.

Le point commun entre ces deux positions, c’est qu’elles tiennent compte de la vertu. Ainsi, même le pratiquant plus relâché doit faire attention à ce que ses actions ne nuisent à personne. S’il choisit de consommer de la pornographie, il doit s’orienter vers des productions aussi éthiques que possible. Le pratiquant plus strict, lui, évite ces formes de complication en s’abstenant tout simplement de consommer de la pornographie, du moins lorsqu’il s’agit de rechercher le plaisir pour le plaisir.

Il faut aussi veiller à ne pas se nuire à soi-même. Là encore, la position la plus relâchée nécessite de prendre en compte de nombreux paramètres. Il faut s’assurer de notre indépendance à la pornographie (les exercices d’abstinence peuvent donner une certaine indication à ce sujet), en consommer avec modération et prudence, rester informé des éventuels effets néfastes, etc., car cet indifférent, préférable ou neutre lorsqu’il est contrôlé, peut potentiellement devenir un indifférent non-préférable sur le long-terme ; comme une drogue peut créer la dépendance. Sans contrôle strict, le tourbillon peut vite devenir une tornade.

On pourrait dire, d’après la distinction subtile que fait Vladimir Mikes dans sa thèse, que consommer de la pornographie peut être une action volontaire mais qu’elle ne sera jamais une action libre car elle demeure fondamentalement irrationnelle (s’il s’agit de chercher le plaisir pour le plaisir). C’est ici que le choix dépend de la progression morale de chacun. Les pratiquants d’un stoïcisme souple auront simplement une pratique réflexive, modérée et prudente de leur consommation tandis que les plus radicaux opteront pour une abstinence totale, pour demeurer indépendant du plaisir même. Ceux-là seront plus proches de la sagesse. Des positions intermédiaires sont évidemment possibles et on peut tout à fait adopter une position radicale sur le plaisir pornographique et une position souple en ce qui concerne d’autres plaisirs, comme ceux de la table et du vin, tel que le fait par exemple Sénèque.

Pour anticiper une interrogation possible, j’aimerais revenir sur un point en particulier : le plaisir lié à la masturbation. On pourrait croire que la condamnation du plaisir même, surtout lorsqu’il est surchargé en dopamine, entraîne par extension une condamnation de la masturbation. Ce n’est pas la même chose. Le désir sexuel et sa satisfaction sont liés à l’assouvissement d’un (relatif) besoin physiologique tandis que le désir pornographique est un désir de consommation. Certes, l’orgasme est un trouble, peu importe la façon dont il a été atteint, mais une distinction s’opère entre un orgasme provoqué, amplifié et encadré par une forme de drogue ; et un orgasme atteint « sous contrôle », sans hyperstimulation extérieure, en suivant simplement les mouvements d’une fonction naturelle de l’être humain. Cela mériterait un article à part entière.

Dans tous les cas, le plaisir, quel qu’il soit, ne doit pas être consommé hors de toute réflexivité. De quoi nourrissons-nous notre corps ? De quoi nourrissons-nous notre esprit ? Est-ce que cela va dans le sens de mon Bien propre ? C’est la compréhension de ce qui contribue réellement à notre bonheur qui permet de conquérir progressivement son indépendance envers les petits plaisirs. 


Sources d’inspiration et pour aller plus loin :

Bibliographie

BRÉHIER, Émile, 1962. Les Stoïciens. La Pléiade, 1438 pages.
DUBOIS, François-Ronan, 2014. Introduction aux porn studies. Les Impressions Nouvelles, 128 pages.

GILL Christopher, 2013. Stoic Erôs – Is There Such a Thing ? In : SANDERS ED, THUMIGER Chiara, CAREY Chris, J. LOWE Nick. Erôs in Ancient Greece. Oxford University Press, p. 143-149.
MEUNIER, Mario, 1992. Marc-Aurèle, pensées pour moi-même suivies du manuel d’Épictète. Flammarion, 224 pages.

VESPERINI Pierre, 2016. Droiture et mélancolie, Sur les écrits de Marc Aurèle. Verdier, 192 pages.

Sitographie

Articles de presse et billets de blog

Analyse contextuelle de la condamnation des métiers de plaisir par Cicéron : https://laviedesclassiques.fr/article/grand-%C3%A9cart-cic%C3%A9ron-et-l%E2%80%99orientation-professionnelle

Le billet de Massimo Pigliucci sur les petits plaisirs : https://howtobeastoic.wordpress.com/2017/12/04/stoic-advice-what-about-small-pleasures/

Sur les liens entre le trafic d’êtres humains et la pornographie : https://fightthenewdrug.org/by-the-numbers-porn-sex-trafficking-connected/

Un article qui se demande si la pornographie éthique est seulement possible : https://goop.com/wellness/sexual-health/can-porn-be-ethical/

Un article qui défend l’idée qu’une pornographie éthique est strictement impossible à produire : https://fightthenewdrug.org/why-its-not-possible-to-produce-ethical-porn/

Sur l’objectivation des femmes et les différentes perspectives philosophiques : https://plato.stanford.edu/entries/feminism-objectification/

Sur la possibilité d’une pornographie éthique et féministe : https://information.tv5monde.com/terriennes/anoushka-realisatrice-promeut-la-pornographie-feministe-292097

Vidéos/conférences

La vidéo des journalistes de Datagueule, qui compile quelques chiffres et faits sur la pornographie, avec une interview de la journaliste Camille Emmanuelle : https://www.youtube.com/watch?v=CowmAzQo2IE

Une conférence TedX par Gary Wilson qui présente les nombreux effets négatifs de la consommation de pornographie sur Internet et le fait qu’on ignore encore beaucoup de choses à ce sujet :  https://www.youtube.com/watch?v=wSF82AwSDiU

Une conférence TedX de Ran Gavrieli qui explique pourquoi il a arrêté de consommer de la pornographie :  https://www.youtube.com/watch?v=gRJ_QfP2mhU

La position de Sadghuru, un guru indien et mystique fondateur d’une fondation de yoga, sur la pornographie : https://www.youtube.com/watch?v=rOMjEv8E0T8

La série-documentaire de Netflix Hot Girls Wanted : https://www.netflix.com/title/80038162

Ressources numériques

Un site internet qui compile toutes les études sur les effets de la consommation de pornographie sur Internet : https://www.yourbrainonporn.com/

Radfem Black : un compte Instagram qui présente (entre autres) les arguments du féminisme radical en faveur de l’abolition de la pornographie : https://www.instagram.com/radfemblack/?hl=fr

Fortify,  la meilleure plateforme (site web et application) que je connaisse pour celles et ceux qui souhaitent arrêter définitivement de consommer de la pornographie. Contient de nombreuses ressources scientifiques qui permettent de prendre un certain recul, sans aucun moralisme : https://www.joinfortify.com/

6 commentaires sur “Stoïcisme et pornographie

  1. Excellent article ! Je pense que le point de vue épicurien est très intéressant pour ce thème. La distinction entre les plaisirs naturels et non-naturels notamment, le calcul des plaisirs « préférable »s si l’on mixe un peu les concepts des philosophies épicuriennes et stoïciennes, est un plus dans ma pratique personnelle. Parfois, l’on peut aussi se dire « même un épicurien ne ferait pas cela »… Et repenser aux paroles d’Epictète : que nous nous disons stoïciens ou argumentons et stoïciens mais agissons en épicuriens ou en aristotéliciens. Pour le coup, je présume qu’un épicurien ne consommerait pas de pornographie, donc encore moins un stoïcien, mais évidemment il faut prendre en compte le contexte actuel et que certains sont déjà dans l’addiction etc, et donc les méthodes des stoïciens (qui peuvent aussi piocher chez leurs amis épicuriens ^^) et Spinoza explique par ailleurs aussi dans son Ethique des choses très intéressantes que l’on peut mettre en parallèle (remplacer une passion par une autre, exemple : la dopamine de l’exercice physique peut remplacer la dopamine provoquée par le voyeurisme pornographique, aussi je trouve l’article très pédagogique, bien expliqué.

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    1. Merci pour ce beau retour ! Et oui, le Stoïcisme vise avant tout la progression et la volonté de progression des individus ; condamner simplement quelqu’un pour ses plaisirs est contraire à la pédagogie de l’école

      Aimé par 1 personne

    1. En effet, la remarque portait plutôt sur le fait que les stoïciens n’ont jamais parlé explicitement de la relation que nous devrions entretenir vis-à-vis de la pornographie (comme objet de consommation de plaisir). De ce que l’on sait aujourd’hui, le tableau utilisé par Chrysippe est avant tout un support d’éducation pour symboliser le souffle de vie qui pénètre la matière

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