
Pour la 7ème année consécutive, l’équipe de Modern Stoicism a organisé la Stoic week, un événement qui se déroule en ligne et durant lequel des internautes du monde entier (8000 en 2018) suivent les instructions d’un manuel édité pour l’occasion afin de vivre une semaine intensive de pratique stoïcienne.
Cette année, le thème retenu fut : « le souci de soi, des autres et de notre monde. » La thématique permet de répondre à une question toute simple : alors que nous sentons tous, ou presque, qu’il faut prendre soin de soi et des autres et de l’environnement, comment faire en sorte que ces objectifs apparemment différenciés n’entraînent pas un conflit intérieur ? Les sept jours de pratique, du 7 au 13 octobre, devaient nous rendre plus cohérents, plus concentrés et plus réflexifs sur notre façon d’agir et de penser.
La semaine stoïcienne s’est déclinée en sept thématiques, sur les terrains suivants :
- Lundi : Faire des progrès
- Mardi : le Bonheur
- Mercredi : la Vertu
- Jeudi : la Communauté
- Vendredi : les Émotions
- Samedi : la Résilience
- Dimanche : la Nature
Chaque jour se décomposait ainsi : une méditation/lecture matinale ; un exercice de mi-journée ; une méditation/lecture en soirée à partir d’un texte donné et quelques exercices optionnels. Voici un résumé ci-dessous de chaque journée, ainsi que les réflexions sérotinales (pas forcément liées) de mon journal de pensées.
Lundi : Faire des progrès
Résumé du livret : Ce premier jour devait nous rendre plus attentif à nos principes de vie. Après la lecture matinale d’un extrait des Entretiens d’Épictète, qui rappelle que le progrès vers la sagesse commence dans l’attention à soi-même, l’exercice du midi consistait à méditer sur la façon dont on pourrait aider davantage les autres, notre entourage, la planète et soi-même. La lecture du soir – Pensées pour moi-même de Marc Aurèle –, devait nous faire réfléchir sur les qualités que l’on trouve estimables chez nos proches, pour s’en inspirer.
Ce que j’ai fait : Concrètement, j’ai songé que je pourrais être plus attentif et généreux avec les mendiants, que je pourrais être plus spontané lorsqu’un camarade me demande de l’aide, que je pourrais m’impliquer davantage dans les associations où je suis, etc. À un niveau plus individuel, je pourrais prendre davantage soin de moi à travers l’alimentation et être plus modéré à certaines soirées festives. En même temps, je suis déjà très conscient des mouvements internes de ma psyché et ma discipline de vie est globalement déjà orientée vers la sagesse. Ce que je retiens surtout de cette journée, c’est que je dois être plus alerte lorsque l’opportunité d’aider autrui se présente.
Pensées du soir :
Pourquoi consultes-tu sans cesse l’état d’un espace virtuel ? Iras-tu vérifier que la météo ne change pas toutes les dix minutes ?
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Il y a des attachements que l’on pense tenir volontairement sans que cela trouble l’âme ; jusqu’au jour où l’objet de cet attachement disparaît et on remarque alors que notre esprit se décharge d’un poids au lieu de s’alourdir d’une peine. Le trouble était présent sans que l’on ne le remarque vraiment.
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Je ne suis pas responsable du malheur des autres ; les autres ne sont pas responsables de mon malheur.
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Derrière chaque addiction, un plaisir qui voile le bonheur comme un arbre cache la forêt.
Mardi : le Bonheur
Résumé du livret : Mardi, le réveil s’est accompagné d’une lecture d’un extrait des Tusculanes, de Cicéron, expliquant que le Sage ne regrette rien, agit librement, avec cohérence, sérieux et droiture. L’exercice du midi consistait à noter les choses que l’on pense les plus estimables dans la vie et à comparer cela à la valeur absolue de la vertu. La méditation du soir s’est articulée autour d’un texte de Marc Aurèle qui invitait à réfléchir sur le rapport du moi à la communauté des dieux et des humains.
Ce que j’ai fait : Ce jour-là, j’avais une présentation à l’oral à réaliser en groupe, devant les camarades. Quelques années auparavant, je souffrais d’une véritable glossophobie, cette peur de s’exprimer à l’oral en public. Le simple fait de lever la main en cours produisait des palpitations, une moiteur, parfois des rougeurs et des vertiges. Les mots n’avaient alors plus leur fluidité naturelle dans l’expression et il m’est arrivé d’avoir cette absence verbale consécutive à la panique.
Le Stoïcisme m’a conduit à évaluer cette phobie, à la vaincre par l’action, en prenant la parole dans des espaces avec un petit public, puis à monter crescendo en inconfort volontaire : se forcer à participer en cours ; puis s’exprimer dans un café philosophique ; puis animer des réunions ; puis parler en improvisation devant un grand public ; etc. Aujourd’hui, je ressens encore parfois une montée d’adrénaline, mais je contrôle davantage mon propos.
Ce mardi, j’ai pu ressentir mon évolution lors de ce simple exposé oral. Ce n’est pas spécifiquement la semaine stoïcienne qui m’a fait progresser, c’est le travail de plusieurs années, mais j’ai ressenti une forme de calme serein à me tenir debout devant autrui, prêt à m’exprimer pendant plusieurs minutes, et ce calme a été source de joie. Avoir agi de façon rationnelle pour corriger ce défaut de caractère m’a permis d’apprécier ma propre évolution. Les méditations du jour m’ont permis de cerner cette joie.
Pensées du soir :
Les choses les plus précieuses dans la vie ont rapport à la vertu. Un parent est précieux ; mais une relation vertueuse avec nos parents l’est encore plus. Un ami est précieux ; mais un rapport vertueux avec nos amis l’est encore plus. Etc.
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Quand le corps frémit, l’esprit peut ne pas frémir.
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Qu’il est plaisant d’observer sa propre évolution quand une action présente ne produit pas le même trouble que son équivalent il y a plusieurs années !
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Ne renonce pas à des objectifs qui te semblent importants pour passer davantage de temps avec tes amis. Trouve un juste équilibre entre tes devoirs d’être humain et tes loisirs sociaux.
Mercredi : la Vertu
Résumé du livret : Après le progrès et le bonheur, c’est le thème de la vertu qui a cadré les méditations du mercredi. Le texte du matin était un extrait des méditations de Marc Aurèle, qui rappelait que la vie bonne est synonyme de vie vertueuse, de maîtrise de soi. L’exercice de mi-journée invitait à lister les qualités que l’on trouve estimables à les comparer aux vertus stoïciennes : courage, justice, prudence, sagesse. La méditation du soir s’appuyait sur un texte de Sénèque, insistant sur l’idée que la vie heureuse doit mettre en cohérence la pensée et l’action. De façon générale, il fallait réfléchir à notre rapport aux vertus et aux indifférents.
Ce que j’ai fait : Ce soir-là, j’avais un événement jeux de société, dans un bar ; un lieu de tentation comme un autre pour un Stoïcien. J’ai remarqué que ma parole m’échappe parfois quand j’entre en interaction avec des proches dans des espaces de grande confiance. Je pense différemment, de façon moins stoïcienne. Aucun excès n’était à signaler ce soir-là, les méditations du jour m’ayant aidé à conserver une certaine attention à moi-même et la sociabilité étant une action convenable en tant qu’être social ; mais mes intentions n’étaient pas toujours très clairement orientées vers la vertu.
Réflexions du soir :
Les qualités les plus importantes d’une vie humaine : altruisme ; raisonnabilité ; justice ; ouverture d’esprit ; sociabilité ; apaisement ; combatif ; soif d’apprendre.
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Surveille tes désirs quand tu côtoies autrui. La psychologie d’un duo, d’un groupe ou d’une foule ne doit pas altérer ton principe directeur.
Jeudi : la Communauté
Résumé du livret : Le lendemain, les méditations portaient exclusivement sur autrui. Le matin, un texte de Cicéron (Fins des biens et des maux) affirmait que le souci pour autrui chez l’être humain est naturel ; le midi, une méditation à partir des cercles de Hiérocles nous encourageait à étendre notre bienveillance naturelle envers les proches à des gens plus éloignés, à nos concitoyens, aux inconnus et à l’humanité entière. Le soir, deux extraits, l’un de Sénèque (De l’oisiveté), l’autre de Marc Aurèle (Pensées), rappelaient que ce qui est bien pour autrui l’est aussi pour moi.
Ce que j’ai fait : Je ne suis jamais à l’aise avec les small talks, ces discussions d’ascenseur ou de socialisation artificielle et me limite souvent aux formules de politesse, « bonjour », « merci », « au revoir », « bonne journée ». Je croise souvent la concierge de notre résidence et je n’engage jamais de réelles discussions ; ce qu’elle fait pourtant parfois. Ce jour-là, j’ai décidé de ne pas me contenter d’un simple « bonjour » et « bonne journée » et lui ai simplement demandé, en plus, « vous allez bien ? ». Cette question toute simple a permis d’engager une petite discussion, pas nécessairement des plus profondes, mais qui a rendu sa journée et la mienne plus sympathiques. Cette action supplémentaire ne coûte rien et est en réalité très naturelle ; nous sommes des êtres sociaux et nos conditions sociales différenciées, le contexte de nos rencontres, nos états mentaux tendent à nous faire oublier que ce sont aussi deux esprits doués de raison qui peuvent se rencontrer à travers les mots.
Pensées du soir :
Parce que lui aussi pourrait être ton père, ton frère, ton grand-père ou ton fils, lui aussi mérite d’être traité avec bienveillance et Justice.
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Un criminel est fou. Mais sa différence avec les autres est de degré et non de nature. Les autres aussi ont leur âme troublée. Seul le Sage se démarque des âmes malades.
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Nul ne fait le mal librement. Nul ne fait le mal en bonne santé mentale.
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Souviens-toi que tant que tu n’as pas atteint la sagesse, c’est une différence de degré et non de nature qui sépare ton esprit de celui d’un criminel ou d’un être vicieux.
Vendredi : les Émotions
Résumé du carnet : Le vendredi, la méditation du matin avait pour appui un extrait du Manuel d’Épictète expliquant que ce sont nos jugements qui nous troublent et non les faits en eux-mêmes. L’exercice du midi invitait à saisir les différences entre une bonne et une mauvaise émotion. Le soir, une lettre de Sénèque rappelait que la joie provient des vertus, du contrôle de soi.
Ce que j’ai fait : Je n’ai pas eu vraiment d’événements particuliers à mettre en lien avec les lectures ce jour-là, mais, de façon générale, j’essaye toujours de garder sous contrôle les émotions négatives et positives pour qu’elles n’atterrissent pas dans le domaine des passions. Il est parfois juste d’être triste, mais ce chagrin ne doit pas durer et ne doit pas nous détourner de nos principes. Il est parfois juste d’être amoureux, mais cet amour doit être généré par la bienveillance et non le désir passionnel ou celui de possession. Au cours d’une journée, il y a souvent de multiples occasions de réfléchir à ses propres réactions dans les interactions sociales.
Pensées du soir :
Compare la joie de mener un projet noble et compliqué à son terme avec la sensation d’un plaisir simple et vulgaire. Lequel de ces deux sentiments est le plus durable ? Le plus utile à la conservation de ton âme rationnelle ?
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Ce n’est pas qu’il faille éviter la tentation mais que l’on soit en mesure d’y faire face sans se laisser troubler.
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L’indignation ne requiert aucune colère mais une action engagée.
Samedi : la Résilience
Résumé du livret : En fin de semaine, Marc Aurèle nous enjoignait le matin à affronter l’adversité avec la stabilité d’un roc face aux vagues ; la méditation de mi-journée avait rapport à la visualisation négative et le texte du soir, de Sénèque, était prétexte à réfléchir sur la reconnaissance que l’on devrait avoir pour chaque nouveau jour d’existence sur cette planète.
Ce que j’ai fait : Les méditations du jour m’ont surtout soutenu dans ma routine, sans vraiment m’inciter à y intégrer de nouveaux éléments. Les étapes que je suis au quotidien, ou presque, exigent déjà un certain courage et une certaine résilience : se lever tôt (entre 5h00 et 6h00), aller en sport, prendre une douche froide, manger sainement… Je dois reconnaître avoir relâché la tension le soir même, emporté par l’esprit festif.
Pensées du soir : pas d’écriture ce soir-là.
Dimanche : la Nature
Résumé du livret : Pour clore cette semaine stoïcienne, les auteurs ont choisi le thème de la Nature : une pensée de Marc Aurèle sur le mécanisme providentiel et harmonieux du cosmos en guise de lecture matinale ; un exercice de visualisation d’en haut le midi, pour prendre du recul sur les événements ; et une autre pensée de l’empereur romain, sur l’être humain comme élément intégré à la Nature, en fin de journée.
Ce que j’ai fait : Je dois avouer n’avoir pratiqué aucun exercice spécifique en cette dernière journée, alors qu’une simple ballade dans un parc aurait pu convenir. Néanmoins, il m’arrive régulièrement de me balader mentalement, de prendre un recul sur certains événements ou certaines de mes émotions lorsque je souhaite les contrôler. Dans ces moments-là, il est effectivement pertinent de se resituer pleinement dans la série causale de la Nature et de se souvenir que tout est déterminé : ma réaction ; la réaction d’autrui ; le mécanisme naturel du cosmos… sans oublier que c’est justement le fait de prendre conscience de cela qui nous rend plus libre et nous permet de consentir ou non à nos représentations.
Pensées du soir :
Ils rient de toi parce que tu acceptes certains plaisirs. Ou bien ces plaisirs sont sains et ils expriment leur propre ignorance ou bien ces plaisirs ne le sont pas et ils font bien de rire d’un philosophe qui ne tient pas ses principes.
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Tu n’es pas une plante enracinée dans le sol mais un être humain qui a la Terre pour maison et l’Humanité pour famille.
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Où puis-je le mieux être utile aux autres et à moi-même ? Pose-toi cette question lorsque tu affrontes un dilemme.
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Qu’appelles-tu cauchemar ? Cette formidable représentation mentale qui te permet un entraînement à la résilience dans un contexte qu’aucune autre situation ne saurait rendre plus réaliste ? Les cauchemars sont un excellent exercice spirituel pour le progressant stoïcien. Ils exigent du courage, ils enrichissent la méditation sur la mort et ils offrent une forme de visualisation négative sans équivalent.
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Ceux-là même qui rient de toi et qui te jugent, n’oublie pas qu’ils creusent leur tombe avant même d’être sur leur lit de mort.
Ai-je progressé ?
Pour évaluer au mieux nos progrès, il était fortement recommandé de remplir un questionnaire avant et après la Semaine stoïcienne. Cela nous permettait de recevoir un score sur divers indicateurs en lien avec notre bien-être, notre épanouissement et notre satisfaction. Voici mon évolution avant et après l’événement.

La principale évolution concerne ma satisfaction dans la vie. J’ai gagné trois points en une semaine, sur une échelle contenant 30 valeurs possibles. Les autres évolutions ne sont pas assez fortes pour être significatives. Je pense qu’il est possible d’imputer ce résultat à la semaine stoïcienne mais les biais méthodologiques possibles dans la complétion du questionnaire ne me permettent pas de l’affirmer avec certitude : certaines questions sont effectivement trop floues et, à mon sens, les répondants peuvent les comprendre différemment selon leur état d’esprit du moment et leurs propres trajectoires biographiques ; ce qui fausse la donnée objectivable que les auteurs souhaitent sûrement relever.
Conclusion critique
En conclusion, cette semaine stoïcienne est un événement utile et pertinent pour les novices et faux-débutants en Stoïcisme. Elle permet de se confronter à plusieurs notions clefs du système et d’appréhender la pratique philosophique. L’interactivité entre les participants, qui mériterait d’ailleurs à être développée, permet de s’enrichir des expériences des uns et des autres et d’entretenir une certaine motivation.
Néanmoins, les instructions manquaient parfois de précisions. Certains camarades m’ont fait part d’une incompréhension sur ce qu’on attendait d’eux. Ils ne savaient pas exactement ce qu’il fallait faire. Par exemple, pour ce qui est de faire attention à autrui ou à la planète, le livret aurait pu mentionner différents exercices comme : être plus généreux avec les gens dans le besoin ; proposer de l’aide à un inconnu ou à des proches ; faire davantage attention à la durée de ses douches et au tri sélectif ; etc. En l’état, les instructions se contentent de donner un sens à des actions que le participant doit trouver seul.
Aussi, je ne pense pas que le livret apporte une réelle plus-value pour les pratiquants de moyen et long-terme de Stoïcisme, catégorie dans laquelle je m’intègre modestement. Je n’ai rien appris de nouveau sur le système stoïcien et je ne suis pas sorti outre-mesure de ma routine déjà construite à partir de cette philosophie. Certes, l’événement m’a conduit à méditer davantage, jusqu’à trois fois par jour (séances de 5 minutes environ) et à écrire quasiment tous les jours dans mon carnet de réflexion ; mais je n’ai pas vraiment quitté ma zone de confort ou mis à l’épreuve mon caractère.
Ainsi, même si ces deux derniers points ne s’intègrent pas forcément dans les objectifs de la semaine stoïcienne, il pourrait être intéressant, dans de prochaines éditions, de proposer différents niveaux de difficulté et davantage d’exemples concrets d’actions pour accompagner les différentes méditations.
Dans tous les cas, le concept de semaine stoïcienne participe indéniablement à la diffusion des idées stoïciennes et initie chaque année des centaines voire des milliers d’individus à la philosophie pratique. J’encourage fortement celles et ceux qui y ont participé à partager également leurs expériences pour aider les organisateurs et pour contribuer au développement du Stoïcisme moderne.
Lien vers la semaine stoïcienne : https://learn.modernstoicism.com/courses/enrolled/217638