Êtes-vous aveugle de la vie ? Les 4 aspects du regard philosophique

« Il existe deux sortes de cécité sur cette terre : les aveugles de la vue et les aveugles de la vie », disait l’écrivain Ahmadou Kourouma.  De même que notre vue est parfois fonctionnelle sans être parfaite (myopie, astigmatie, presbytie…), notre vision de la vie et de nous-mêmes n’est pas toujours nette. Être aveugle de la vie, c’est vivre en-dehors de la sagesse, du bien, de notre humanité. C’est se laisser vivre au lieu de vivre. En ce sens, nous pouvons tous devenir aveugle si nous ne faisons pas attention. La meilleure protection, c’est donc de développer un véritable regard philosophique.

Cette expression, qui a donné son nom au site sur lequel vous vous trouvez (Un regard stoïcien – le regard philosophique propre à l’école stoïcienne), peut se comprendre en quatre sens différents,.

Le regard de l’introspection : mieux se connaître

Dans un premier sens, le regard philosophique est un regard intérieur, tourné vers soi. C’est le regard de l’introspection, qui permet de mieux se connaître. L’examen de conscience, comme le présente Sénèque ci-dessous, ou l’attention à soi-même, sont deux formes d’exercices stoïciens qui font appel à ce regard intérieur.

Je m’examine tout de suite et, suivant une pratique des plus salutaires, je fais la revue de ma journée. Pourquoi sommes-nous si mauvais ? C’est que nul d’entre nous ne jette sur sa vie un coup d’œil rétrospectif. Que ferons-nous ? C’est à cela que nous pensons, et encore de loin en loin. Qu’avons-nous fait ? Nous n’y pensons pas. L’avenir pourtant s’organise sur le plan du passé. 

Sénèque, Lettres à Lucilius, 83 (2)

Le regard de la projection : imaginer, visualiser, méditer

Dans un deuxième sens, le regard philosophique est une vue de l’esprit. C’est le regard de la projection, qui permet d’imaginer, de visualiser, de méditer. La préméditation des maux, comme en parle encore Sénèque ci-dessous, ou le regard d’en haut, sont deux exemples de ce regard projectif qui embrasse plus grand que soit.

Ne va pas croire que je prêche ici le laisser-aller. Pare de ton mieux aux événements redoutables. Tout ce que peut embrasser la prudence humaine, embrasse-le de ton regard. Quelle que soit l’épreuve qui te menace, n’attends pas qu’elle t’atteigne ; regarde-la venir et rejette-la au large. Ici encore rien ne te sera plus efficace que la confiance en toi et le ferme propos de tout endurer.

Sénèque, Lettres à Lucilius, 98 (7)

Le regard de l’extension : s’émerveiller, comprendre, observer

Dans un troisième sens, le regard philosophique est un regard tourné vers l’extérieur, qui interprète les événements du monde avec une forme de sagesse où nous nous oublions. C’est le regard de l’extension, qui permet de s’émerveiller, de comprendre, d’observer, de s’apaiser, de relativiser. Marc Aurèle applique ce regard dans ce passage :

Et si l’on se passionnait pour les êtres de l’univers, si on en avait une intelligence plus profonde, il n’est sans doute nul d’entre eux, même de ceux qui sont les conséquences des autres, qui ne paraîtrait une agréable créature ; on regarderait avec plaisir les gueules béantes des bêtes féroces et tout ce que nous font voir les peintres et les sculpteurs dans l’image qu’ils nous en donnent ; même chez les vieux et les vieilles, on pourra voir une certaine perfection, une beauté, comme on verra la grâce enfantine, si on a les yeux d’un sage. Tout le monde n’arrivera que rarement à en être persuadé, mais seulement celui qui a une affinité véritable avec la nature et ses œuvres.

Marc Aurèle, Méditations, Livre III, 2

Le regard (au sens physique) du philosophe

Finalement, dans un quatrième sens, le regard philosophique désigne le regard que possède les philosophes : un regard qui exprime la sagesse. C’est un regard dans lequel on décèle l’empathie, la joie, l’humanité, la sagesse, la vertu. Les yeux sont effectivement le miroir de l’âme. Sénèque l’exprime en ces mots :

Ne remarques-tu pas quelle vivacité la vaillance met dans le regard; quel air de concentration, la prudence ; quel air de modestie et de recueillement, le respect, quel air d’abandon, la douceur?

Sénèque, Lettres à Lucilius, 106 (7)

« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux », dit Antoine de Saint-Exupéry dans le Petit prince. C’est cette clairvoyance que le regard philosophique cherche à atteindre, en dissipant le brouillard de l’existence, à travers l’introspection, la projection et l’extension. Alors, à quel point voyez-vous vraiment la vie ?

Photo de couverture by Sebastian Unrau on Unsplash

2 commentaires sur “Êtes-vous aveugle de la vie ? Les 4 aspects du regard philosophique

  1. Voir les choses telles qu’elles sont, ce qui implique de se forger une habitude de bien juger, de réduire ses passions et de prendre la réalité pour son désir plutôt que ses désirs pour la réalité. Le Bouddha je crois que lorsqu’il a atteint l’éveil voyait les choses exactement telles qu’elles sont, en totale adéquation si bien que le « moi » s’en trouve confondu avec le Réel comme on peut aussi le relever chez Marc Aurèle qui semble s’unir à la Raison universelle, à la Nature, ou encore chez Spinoza pour qui Dieu = la Nature, de meme que dans le soufisme, mysticisme universaliste de l’islam, pour lesquels Allah est Al-Haqq (un des 99 noms d’Allah dans l’islam) c’est à dire « le Réel ».

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