Being Better : la justice stoïcienne en pratique

manifestation féminisme

Compte rendu du livre le Devenir meilleur, le Stoïcisme pour un monde où il fait bon de vivre (en anglais Being Better, Stoicism for a world worth living in)

Le Stoïcisme est souvent perçu comme une philosophie de vie individualiste voire égoïste, qui nous isolerait du monde social pour se concentrer sur notre seul bonheur. Il s’agit d’une vision totalement erronée, comme le montrent Kai Whiting et Leonidas Konstantakos dans leur livre Devenir meilleur, le Stoïcisme pour un monde où il fait bon de vivre (en anglais Being Better, Stoicism for a world worth living in).

Les deux auteurs mettent l’accent sur la vertu de la justice. La justice, pour un stoïcien, est l’art de distribuer à chacun ce qui lui est due, l’art d’exceller dans les relations avec autrui. Cette vertu nous engage socialement et, parfois, politiquement.

whiting livre couverture

whiting dos livre

Le Stoïcisme, une philosophie pour former des guerriers de la justice sociale

En présentant le Stoïcisme sous la vertu de la justice, le livre déconstruit deux solides préjugés :

  • le Stoïcisme n’est pas une simple philosophie de développement personnel avec des astuces pour la vie de tous les jours : « le Stoïcisme ne concerne pas vraiment le développement personnel mais plutôt l’effort réalisé pour savoir qui l’on est et ce que l’on doit faire pour créer un monde harmonieux » (p.133) ;
  • le Stoïcisme n’est pas une philosophie viriliste, patriarcale ou sexiste : « les Stoïciens sont féministes en raison de leur engagement dans la justice et leur ouverture au dialogue » (p.104).

Les auteurs rappellent, à juste titre, que les trois premiers chefs de l’école (Zénon, Cléanthe, Chrysippe) sont des immigrés qui ont atterri à Athènes sans le moindre sou. Ce sont ces mêmes personnes qui ont développé une éthique cosmopolite, considérant chaque être humain comme un semblable (un frère, une sœur, un oncle, une tante…). Sous l’Empire romain, le maître stoïcien Musonius Rufus suit leurs pas et soutient que les femmes et les hommes sont égaux dans leur capacité à atteindre la sagesse. Il existe également des exemples d’engagements politiques : au IIIe siècle avant J.-C., le stoïcien Sphéros conseille le roi Cléomène de Sparte et permet d’importantes réformes qui améliorent le sort des habitants de Sparte, alors que le territoire était en déclin.

Le Stoïcisme intègre donc une importante dimension de justice sociale, qui engage ses adeptes dans le monde social et politique. Les auteurs explorent ce thème à travers l’écologie, le féminisme, l’immigration et le consumérisme.

Les incarnations modernes de la justice stoïcienne

Le livre est construit en 9 chapitres et chaque philosophe de l’Antiquité ou concept stoïcien est articulé à une figure historique moderne.

La métaphore de l’archer, dans le Stoïcisme, rend compte du fait qu’il y a des choses qui dépendent de soi et d’autres qui n’en dépendent pas. Si on vise une cible avec un arc, ce qui dépend de soi, c’est l’effort, la volonté de viser le centre, la concentration dont on fait preuve. Cependant, une fois tirée, la trajectoire de la flèche ne dépend plus de nous : elle peut rater sa cible, être déviée par le vent, etc. Les auteurs font alors un parallélisme très pertinent avec Claudette Colvin et Rosa Parks. Les deux femmes ont protesté contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis en refusant de céder leur place à une personne blanche, dans un bus. Claudette Colvin l’a fait quelques années avant Rosa Parks mais seule Rosa Parks a catalysé un mouvement de révolte et est devenue une figure emblématique de la lutte pour les droits civiques. Claudette Colvin, elle, commence seulement à être reconnue par l’histoire. L’une n’a pourtant pas moins visé juste que l’autre. La flèche est simplement tombée dans le mille pour Rosa Parks et  « Colvin a raté la cible sans que ce soit sa faute. Cependant, en visant l’excellence, les deux femmes ont fait ce qu’il fallait et leurs actions étaient tout aussi vertueuses » (p.36).  

Rosa Parks et Bill Clinton, par Rosa Parks Papers, Prints and Photographs Division, Library of Congress (072.00.00) — https://www.loc.gov/item/2015649285/, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=386689

D’autres rapprochements, souvent pertinents, parsèment l’ouvrage : Caton d’Utique, dans son extraordinaire intégrité, est comparé à Pat Tillman, qui refusa de bénéficier de passe-droits pour éviter la guerre sur le front ; le Stoïcisme de Posidonius, qui est très attentif à la façon dont nos actions affectent la Nature et autrui, est rapproché des principes de construction éco-responsables, inclusifs et universalistes de la mosquée de Cambridge imaginée par Abdal Hakim Murad et ses équipes ;  Sphéros, dans la façon dont il a influencé le régime de Sparte, est comparé à l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, qui utilise sa position et son influence pour contrebalancer la prédominance de la littérature coloniale en valorisant et en étudiant la littérature de son pays (et de l’Afrique en général)…

Being Better illustre ainsi en quoi le Stoïcisme est une philosophie de vie contemporaine. Le lecteur a la sensation de lire un livre d’actualité plutôt qu’une introduction à une philosophie de vie née il y a plus de 2000 ans.  

La pratique stoïcienne de la justice, au quotidien

Les auteurs racontent donc à la fois l’histoire du Stoïcisme et les grandes actions d’êtres humains qui ont fait preuve d’une grande force de caractère. Ces derniers ne se revendiquent pas nécessairement stoïciens mais le Stoïcisme donne un cadre conceptuel qui permet de comprendre leurs actions, et de s’en inspirer. En racontant le Stoïcisme par la vertu de la justice, les auteurs partagent également des bribes de leurs vies de pratiquants de Stoïcisme. Cela montre concrètement ce que vivre en stoïcien peut signifier aujourd’hui. Un passage, dans le chapitre 1 est particulièrement éclairant :

« Depuis que nous [Kai Whiting et Leonidas Konstantakos]avons commencé à cheminer ensemble sur la voie stoïcienne, nous avons tous deux revu nombre de nos habitudes et opinions. Par exemple, compte tenu de notre âge et de nos circonstances personnelles, nous avons reconsidéré notre consommation de produits laitiers en fonction de notre désir de tendre vers les quatre vertus stoïciennes que sont le courage, la justice, la maîtrise de soi et la sagesse. » (p.13)

Et les deux auteurs d’énumérer les efforts engagés pour chaque vertu. Pour la justice, ils prennent par exemple le temps d’étudier et de comprendre le lien profond entre l’immigration forcée, les dégâts environnementaux et la production de produits laitiers, et ajustent leurs comportements en conséquence.

Ces actions du quotidien, à la portée de chacun, complètent ainsi les exemples de grandes actions et montrent à quel point le Stoïcisme peut véritablement guider chaque personne, dans la routine comme dans le drame. Les dernières pages, qui s’attardent sur la pandémie de la Covid-19, en attestent d’autant plus.

Being better : être meilleur pour se sentir mieux

Being Better est une excellente introduction au Stoïcisme. En faisant le choix d’une entrée par la vertu de la justice, les auteurs ravivent la dimension sociale et politique de l’engagement stoïcien. Eh oui, le Stoïcisme n’est pas seulement une philosophie de développement personnel, avec quelques astuces pour se sentir mieux. En réalité, le Stoïcisme dit qu’il faut faire le bien pour se sentir bien : suivre la justice stoïcienne est une façon de s’épanouir et de développer nos qualités les plus humaines, pour un monde meilleur. C’est tout le message du livre.

Bannière : photo by Giacomo Ferroni on Unsplash

Informations pratiques :
Being Better, Stoicism for a world worth living in
Auteurs : Kai Whiting & Leonidas Konstantakos
Première date de publication : 2021
Éditions utilisées pour le compte-rendu : New World Library
Nombre de pages :  162
ISBN : 9-781608-686933
Acheter sur Amazon : https://amzn.to/3hzPCOl

Un commentaire sur “Being Better : la justice stoïcienne en pratique

  1. Très intéressant !
    Je suis d’accord : la philosophie stoïcienne est à l’opposé même de l’individualisme et de l’égoïsme : elle est tellement proche du bouddhisme tout en étant issue de notre héritage gréco latin européen : une chance immense que de tels enseignements aient pu perduré jusqu’à nous. Elle est adéquate pour notre temps : si l’on ne penche ni pour le christianisme ni pour le nihilisme ni pour le dépaysement (ex : devenir bouddhiste, ce qui de toute façon nous ramènerait au stoïcisme car il y aurait beaucoup de barrières en tant qu’occidental ) Beaucoup de personnes croient que ce serait « égoïste » que de penser à leur propre paix intérieure, alors qu’elle impacte nécessairement le bonheur des autres et que le contraire c’est à dire ne pas rechercher sa paix intérieure va nuire aux autres au final, surtout que la paix intérieure (ataraxie ) s’obtient par la vertu c’est à dire ce qui peut le plus profiter à la fois à autrui : la justice la bienveillance aussi et à nous mêmes sur le long terme. Cest une philosophie qui insiste beaucoup sur la sociabilité et le bien commun y est de la plus haute importance.
    Merci pour cette article et sa haute qualité. Qui est de plus très terre à terre et ancré dans le monde actuel.
    Cela donne envie de lire cet ouvrage et en réaliser (de tels ouvrages) en français serait top.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire