Cet article a été écrit pour le bulletin trimestriel de l’Association suisse de la Libre Pensée. Bonne lecture !
Le stoïcisme est une philosophie de vie de l’Antiquité, fondée par Zénon de Citium vers -IV avant J.-C. C’est un système qui comprend une partie logique, une partie physique et une partie éthique. Il vise à guider rationnellement et raisonnablement les êtres humains afin que ces derniers atteignent la sagesse et le bonheur qui lui est propre. Parmi les principes de base, le stoïcisme soutient notamment que la vertu (une forme d’excellence de caractère) est suffisante et nécessaire au bonheur, que le vice est la seule chose à l’origine du mal et du mal-être, qu’il faut vivre en accord avec la nature (les lois de la nature, qu’il s’agit d’accepter et les lois du social et de notre propre psychologie, sur lesquelles il faut agir avec sagesse) et que la liberté ne peut s’acquérir qu’à travers le chemin philosophique.
Le stoïcisme contemporain : un ensemble de phénomènes sociaux
Ce sont donc ces idées qui sont rediscutées, diffusées et mises en pratique dans le cadre du « Stoïcisme contemporain », expression qui renvoie à différents phénomènes, parmi lesquels :
– Le mouvement intellectuel et universitaire qui commence à la fin du 20ème siècle, avec, notamment, la publication du livre de Lawrence C. Becker, A New Stoicism et les travaux de philosophes universitaires comme Philippa Foot, Alasdair MacIntyre, Martha Nussbaum ou encore Pierre Hadot en France.
– Le mouvement social avec l’émergence, au début des années 2000, de cercles de réflexion autour du Stoïcisme. Ils apparaissent d’abord dans des milieux fermés (type universitaires) en Angleterre et aux Etats-Unis puis finissent par s’ouvrir et atteindre un public moins spécialisé, sur les cinq continents. Le site The Stoic Fellowship enregistre par exemple plus de 100 communautés stoïciennes en 2021. Ces cénacles sont réels et/ou virtuels et sont constitués en association ou de façon libre.
– Le développement d’événements autour du Stoïcisme comme la conférence stoïcienne (Stoicon) et les semaines de pratique stoïciennes (Stoic Week) organisées chaque année par l’association anglaise Modern Stoicism.
– Une augmentation de la production et de la consommation de produits culturels autour du Stoïcisme (livres, cours en ligne, programmes d’exercices spirituels, objets de collection…).
Il reste toutefois difficile de parler de stoïcisme contemporain au singulier. Certes, certaines idées fondamentales, telles que celles mentionnées en introduction de cet article, sont partagées par tous les stoïciens (ou presque), mais des divergences subsistent et conduisent à distinguer différentes branches. Certains stoïciens accordent ainsi une place importante à la théologie stoïcienne et à sa notion d’univers providentiel, d’autres ont principalement recours au stoïcisme en tant que boîte à outil pour le développement de soi, d’autres, finalement, cherchent à actualiser tous les aspects de la doctrine (physique, logique, éthique) à partir de l’état de nos connaissances scientifiques actuelles.
Les enjeux autour du Stoïcisme contemporain
Dans tous les cas, le mouvement se construit autour de quatre enjeux. Le premier enjeu est celui de la pertinence. Le stoïcisme, dès ses origines, fonde son éthique sur la connaissance. L’évolution de la connaissance entraîne donc l’évolution de son éthique. Le deuxième enjeu est celui de l’institutionnalisation : bien que de plus en plus d’associations se créent, il n’existe encore aucune école de philosophie stoïcienne comme il peut exister des écoles de philosophie bouddhiste (dojo, temples zen, etc.). Le troisième enjeu est celui de l’accessibilité. A ses débuts, la doctrine stoïcienne a été transmise par l’éducation populaire, au centre-ville d’Athènes, en extérieur, sous le portique. Absolument tout le monde pouvait découvrir la sagesse stoïcienne. Le stoïcisme contemporain se doit de rester accessible, dans sa pédagogie, dans sa prétention à l’universel et dans ses espaces de production et de reproduction. Le quatrième enjeu est celui de la politisation, non pas au sens partisan mais au sens de l’engagement social. Le Stoïcisme s’adresse parfois à des individus considérés comme isolés les uns des autres mais la question se pose de savoir s’il ne faudrait pas considérer les rapports sociaux et tenir un discours plus politique envers les adeptes. Certains auteurs et pratiquants penchent clairement dans ce sens.
Le regain d’intérêt envers le stoïcisme n’est donc pas seulement un effet de mode résultant des difficultés propres à l’année 2020. C’est au contraire un phénomène inclus dans le mouvement plus global du stoïcisme contemporain. Il est possible de faire l’hypothèse que la pandémie a simplement exacerbé des besoins qui existaient déjà auparavant et auxquels le stoïcisme constitue, pour certains, une réponse adéquate : celui de penser l’éthique en-dehors du cadre religieux, celui de disposer d’outils personnalisables pour faire face aux difficultés, celui de trouver un sens en-dehors de notre identité de travailleur-consommateur !
Jean-Baptiste Roncari est l’auteur du site internet www.unregardstoicien.com, dans lequel il étudie et explore depuis 2016 différents aspects du stoïcisme.