Les premiers disciples de Zénon sont des figures oubliées de l’histoire du stoïcisme. Pourtant, ce sont eux qui ont été les premiers héritiers et messagers de l’enseignement du portique. Parmi ces disciples, Persaios de Kition occupe une place singulière. Il illustre le rôle clé que pouvaient jouer les philosophes dans les cours des rois et le monde politique de façon plus générale.

Une figure aux contours incertains
Né vers 310 av. J.-C., probablement à Kition (l’actuelle Larnaca à Chypre), Persaios serait issu d’une famille aristocratique. Les sources antiques, rares et parfois contradictoires, rendent pourtant son identité incertaine : certains affirment qu’il était le fils d’un certain Démétrios, d’autres le disent esclave de Zénon — une confusion sans doute née d’une plaisanterie de Bion de Borysthène, qui ironisait sur sa proximité avec le fondateur du stoïcisme.
Une chose est sûre : Persaios a longtemps partagé le toit et la vie quotidienne du maître du portique, au point d’être considéré comme son disciple le plus fidèle. Zénon l’estimait suffisamment pour l’envoyer, avec Philonidès de Thèbes, représenter le stoïcisme à la cour du roi Antigone II Gonatas en Macédoine.
Le philosophe à la cour du roi
À partir de 270 av. J.-C., Persaios devint une figure importante de la cour de Pella, l’un des grands centres de pouvoir de la Grèce antique. Il y occupa des fonctions de confiance : ami proche du roi, précepteur de son fils Halkyoneus, puis gouverneur (archonte) de Corinthe après sa conquête par Antigone.
Un philosophe stoïcien au service du pouvoir monarchique, cela pouvait sembler contradictoire : Épicure, par exemple, refusait toute proximité entre philosophie et politique. Mais les stoïciens, et Persaios en particulier, expérimentèrent cette articulation délicate. Gouverner sans renoncer à philosopher : tel était son défi.
Selon Plutarque, il trouva la mort en 243 av. J.-C., lors de la chute de l’Acrocorinthe, forteresse stratégique de Corinthe, face aux troupes de la Ligue achéenne. D’autres traditions, toutefois, le font survivre à ce siège, preuve des incertitudes qui entourent son destin.
Anecdotes et enseignements de Persaios
Diogène Laërce nous a transmis une scène célèbre : Antigone fit croire à Persaios que son domaine avait été dévasté. Troublé par la nouvelle, le philosophe montra malgré lui son attachement aux biens matériels. Antigone lui lança alors : « Tu vois bien que la richesse n’est pas une chose indifférente. »
L’anecdote, au-delà du trait d’esprit, illustre la difficulté à vivre pleinement l’idéal stoïcien : si la possession matérielle est théoriquement un « indifférent », rares sont ceux qui y restent insensibles.
Philosophiquement, Persaios se rattache à l’orthodoxie stoïcienne : il défendait l’idée que toutes les fautes sont égales, voler ou tuer étant, du point de vue de la sagesse, des fautes tout aussi graves. Sur la religion, il proposait une interprétation rationaliste : les « dieux » ne seraient rien d’autre que le qualificatif utilisé pour désigner des hommes qui ont rendu de grands services à l’humanité ou des choses utiles (elles-mêmes divinisées).
Une œuvre aujourd’hui perdue
Comme nombre de ses contemporains, Persaios écrivit beaucoup, mais ses traités n’ont pas survécu. Les titres conservés par Diogène Laërce donnent une idée de ses centres d’intérêt :
- Sur la royauté (Περὶ βασιλείας)
- Contre les Lois de Platon (Πρὸς Πλάτωνος νόμους)
- Sur le mariage (Περὶ γάμου)
- Sur les dieux (Περὶ θεῶν)
- Entretiens, Mémorables, Protreptiques, etc.
À travers eux transparaît une double préoccupation : éthique (mariage, amours, conduite morale) et politique (royauté, lois, constitution spartiate). Ses écrits dialoguaient directement avec les grandes figures de la philosophie grecque, notamment Platon, tout en cherchant à adapter la pensée stoïcienne aux réalités de son temps.
Pourquoi se souvenir de Persaios ?
Persaios n’a pas marqué l’histoire de la philosophie comme Chrysippe ou Cléanthe, mais son parcours révèle une tension toujours actuelle : comment concilier sagesse intérieure et engagement public ? Peut-on philosopher dans les couloirs du pouvoir ?
En ce sens, il incarne la tentative d’appliquer les principes stoïciens au gouvernement des hommes. Son nom, souvent oublié, mérite pourtant de figurer aux côtés des pionniers du stoïcisme, comme témoin d’une philosophie qui ne craignait pas de se confronter au réel.
Hey 👋
Depuis plus de 10 ans, je tiens ce site à jour et de façon indépendante sur mon temps libre. Si vous voulez me soutenir pour que ce projet se développe, vous pouvez devenir membre Premium (qui vous donne accès à 100 % de la newsletter mensuelle) et/ou découvrir l’un de mes livres. Votre soutien est précieux, merci !