Le paradoxe stoïcien : liberté de l’action déterminée (Vladimir Mikeš)

Depuis l’Antiquité, le stoïcisme s’enrichit des débats que provoquent ses paradoxes. L’un des paradoxes stoïciens les plus discutés est probablement celui de la liberté de l’action dans un monde déterminé. Si, selon le modèle stoïcien, tout est déterminé – y compris mes actions les plus insignifiantes – est-il seulement possible de prouver l’existence de mon autonomie par quelque geste que ce soit ? Comment parler de libre-arbitre, de liberté, de responsabilité et de vertu si tout dépend du destin ? C’est précisément ce paradoxe que Vladimir Mikeš cherche à résoudre dans un ouvrage très technique, version réécrite de sa thèse soutenue à l’université Charles à Prague.

L’interprétation présentée dans la thèse est compatibiliste : elle cherche à démontrer qu’un monde déterminé n’est pas contradictoire avec un sujet libre et responsable. Au contraire, c’est même le destin qui est la condition de notre liberté. Dans les dernières pages de son livre, Vladimir Mikeš soutient que nous sommes libres parce que déterminés. Mais pour bien le comprendre, il est nécessaire de clarifier les termes et de revenir sur les différentes étapes du raisonnement, qui s’appuie d’ailleurs essentiellement sur les sources liées aux premiers stoïciens (Zénon de Citium, Chrysippe, Cléanthe…) et aspire à renouer avec une vision plus originelle et originale de la résolution apportée à ce paradoxe.

L’ACTION DÉTERMINÉE ET LA RESPONSABILITÉ

Puisque les premiers stoïciens n’ont cessé de souligner l’éternel enchaînement causal (le destin), il est nécessaire d’en tenir compte dans l’analyse de l’action humaine. Sans surprise, pour les stoïciens, l’action humaine ne se situe pas en-dehors du destin. Mais est-elle pour autant déterminée de la même façon qu’un objet inanimé ? C’est la question que se pose Vladimir Mikeš. A première vue, l’activité psychique qui précède parfois l’action est elle aussi soumise au destin. Quand nous pensons agir conséquemment à notre activité psychique, nous agissons en réalité conséquemment à ce que le destin détermine de notre activité psychique. Il s’agit en fait d’une codétermination de notre propre mouvement et du mouvement de l’ensemble. Cependant, dire que le destin détermine notre activité psychique et que cela détermine notre action reste abstrait. Qu’est-ce qui est déterminé exactement dans l’activité psychique ? L’assentiment ? La représentation ? L’impulsion ? En fait, les trois à la fois. C’est du moins ce que soutient Vladimir Mikes, à l’encontre des auteurs classiques (Aulu-Gelle, Cicéron, Plutarque…) et contemporains (S. Bobzien, B. Inwood…) qui considèrent que le destin ne détermine pas complètement l’assentiment ou la représentation.

Schéma 1
Rapport de l’action et de l’activité psychique au destin

Dès lors, si tout est déterminé par le destin, peut-on encore considérer l’homme comme responsable de ses actes ? Peut-on le distinguer d’une simple pierre ? Pour Vladimir Mikeš, cette tension peut se résoudre si on distingue différentes causes. Un objet inanimé n’est pas déterminé de la même façon qu’un être humain, ou, pour le dire autrement, l’assentiment n’est pas déterminé de la même façon qu’une pierre. On peut même considérer que l’assentiment dispose d’une certaine autonomie par rapport à la pierre. Il faut cependant préciser les conditions de cette autonomie qui n’est pas exempte du destin. « Qu’est-ce que cet assentiment déterminé, qui n’est ni un choix, ni une délibération et qui pourtant permet à l’homme de se distinguer de toutes les autres choses et d’être responsable moralement » (p.39) se demande alors très justement l’auteur.

LA NATURE DE L’HOMME ET LA PSYCHOLOGIE DE L’ACTION

Puisque dans le stoïcisme originel, l’éthique ne se comprend pas pleinement sans la physique ni la logique, Vladimir Mikeš adopte une approche originale : il analyse l’échelle des êtres (scala naturae) stoïcienne pour mieux comprendre ce qui se joue dans l’activité psychique humaine selon les stoïciens : « l’échelle de la nature peut exprimer en abrégé les principes les plus importants de leur physique qui sont en plus des principes fondamentaux pour l’éthique » (p.42), explique-t-il. Cette échelle stoïcienne rend compte de deux frontières : celle de l’homme avec les niveaux inférieurs, et, surtout, celle de l’homme avec le niveau supérieur : celui de la nature, du Dieu logos ou noûs. Comme le précise l’auteur, ces frontières sont poreuses : l’échelle marque surtout une certaine continuité du pneuma – le souffle de la structuration de l’existence qui parcourt tous les êtres. L’humain est par exemple d’abord l’égal d’une plante dans son existence prénatale, puis une âme sans raison (« animale ») dans son enfance, une âme en cours d’acquisition de la raison entre 7-14 ans ; finalement une âme douée de raison après cette période. La finalité (telos) de la vie humaine est alors de vivre en conformité avec la nature de l’univers, c’est-à-dire faire ce qui est bien pour soi. Cette évolution de l’âme est naturelle mais la finalité (être vertueux au sens strict du terme) n’est que rarement atteinte (sans aucune surprise pour les stoïciens).

  • Qu’est-ce que la raison ?

Une fois la raison acquise, l’homme prend conscience de son rapport à la nature. Il peut alors s’harmoniser avec le cosmos, c’est-à-dire ce qui lui est supérieur sur l’échelle de la nature. Il faut bien comprendre ici que la raison n’est pas une faculté d’initiation causale ou de création causale. Elle n’est pas un pouvoir hors du destin. Au contraire, elle se définit de façon très organique et matérialiste. Vladimir Mikeš présente trois définitions complémentaires de cette faculté. La raison est d’abord conçue dans le stoïcisme en tant qu’assemblage (athroisma) de notions. Cette définition permet de souligner que la raison est le résultat d’un processus naturel. L’être humain acquiert d’abord des notions (ennoiai), qui se forment à partir de représentations sensorielles et de tendances préliminaires. Ces notions s’emmagasinent dans la mémoire. Une fois la raison acquise, l’homme peut saisir les choses de façon rationnelle, un peu comme si un logiciel nouveau permettait de récupérer dans un ordinateur-cerveau ce qu’on juge être les bonnes données pour les tâches à effectuer. L’acquisition de cette raison n’annule pas l’obtention de nouvelles notions. Au contraire, les opérations logiques – par exemple – permettent de former de nouvelles notions. 

Dans une deuxième définition, exposée notamment par Diogène Laërce, la raison renvoie au langage. Elle se sert du langage pour exprimer ce qu’elle ressent face à une représentation. « C’est par le lekton attaché à la représentation que les représentations de l’homme se distinguent de celle des bêtes » (p.53) précise l’auteur. Le lekton désigne ce qui est exprimé (le sens de ce qu’on dit, le signifié en linguistique). Cette définition est à mettre en rapport avec la première. La raison saisit et identifie les choses à partir de ses notions, et en même temps, elle exprime ce processus par le lekton, la proposition, faisant de la représentation une représentation rationelle. Ces deux définitions ne sont que deux points de vue différents et non contradictoires d’un même concept.

La troisième définition est celle de la raison en tant que structure du mouvement psychique. Cela renvoie à l’image du logiciel utilisée auparavant. Pour le dire autrement, la raison peut être conçue comme la structure qui encadre l’ensemble des étapes psychiques de représentation, d’assentiment et d’impulsion. En tant que structure, la fonction de base de la raison est « de saisir des représentations, en les identifiant à travers un système de notions comme étant les représentations de quelque chose » (p.60) puis de manifester le contenu de la représentation dans le langage. « La représentation ainsi saisie est approuvée par l’assentiment ce qui, lorsqu’il d’une représentation impulsive, produit/est l’impulsion » (p.60).

En résumé, la raison ne serait pas l’une ou l’autre définition, mais les trois à la fois. Cette conception permet de représenter, selon l’interprétation de l’auteur, la vraie nature de la raison et de conserver sa complexité originelle.

Raison schéma
Schéma simplifié de la raison

Partant de cette définition et de la nature de l’être humain ainsi définie, Vladimir Mikeš revient sur la question initiale, celle de savoir comment l’être humain peut être responsable si ses actions sont déterminées. Si tout se joue au niveau de l’assentiment, ce dernier reste effectivement déterminé. Comme le montre le schéma, l’assentiment ne peut que manifester le contenu de la raison : « la personne particulière dans un moment particulier exprime seulement sa compréhension actuelle du monde, c’est-à-dire qu’elle donne l’assentiment ou ne le donne pas selon que la représentation lui apparaît vraie ou fausse » (p.83). La représentation et l’assentiment sont ici déterminées par les notions emmagasinées dans l’esprit. Il existe toutefois différents types d’assentiments et de représentations. Les représentations dites cataleptiques par exemple contraignent la personne à donner son assentiment. La raison, qui assent à ce qu’elle croit être vrai, ne peut pas résister à assentir à ce genre de représentations. Vladimir Mikeš donne l’exemple d’un livre vert posé sur une table. Le fait que je vois un objet vert, posé sur une table, que je perçoive cet objet comme étant un livre etc., tout cela constitue un processus de perception immédiat, sans connotation, sans jugement de valeur. C’est cela même que les stoïciens définissent comme une représentation cataleptique. L’âme assent spontanément et de façon contrainte à la vérité des choses. Dans le cas présent, elle ne remet pas en doute la réalité de ce livre vert posé sur une table. Si je tends le bras pour saisir le livre, c’est aussi une représentation cataleptique à laquelle j’assens immédiatement (sont implicitement assenties les propositions suivantes : le livre est saisissable, je le perçois, je peux le saisir, etc.). Face aux sceptiques, pour qui il est possible de suspendre son assentiment, les stoïciens affirment que non seulement on ne peut pas percevoir et agir sans donner son assentiment, mais qu’en plus « on est amené naturellement à le donner en percevant et en agissant » (p.87). La force de ce modèle est qu’il est autosuffisant.

Mais en quoi l’individu serait-il responsable si son assentiment est déterminé par un assemblage de notions dont il n’est pas responsable ? C’est précisément ici que le langage-raison-lekton entre en jeu. Si les choses sont bien saisies à travers des notions, le lekton permet de créer une distance intérieure. Alors qu’une représentation non rationnelle conduit à un assentiment non rationnel et spontané, une représentation rationnelle – c’est-à-dire une représentation dont le sens a été construit à partir de notre assemblage de notions personnel – est approuvée ou non par l’assentiment. L’assentiment subit la représentation (typiquement, la représentation cataleptique) mais approuve ou réprouve le sens que la raison lui donne. C’est à ce niveau précis que chacun est responsable. Par exemple, s’il fait nuit, je n’ai pas d’autres choix que d’assentir à la sensation qu’il fait nuit (représentation cataleptique) ; par contre, si j’introduis un sens à cette représentation, j’ai le choix. Si je dis que la nuit fait peur, je me dois d’étudier les postulats implicites de cette représentation interprétée, de soulever les questions liées (la peur est-elle substance de la nuit ? Qu’ai-je à craindre ? etc.), et d’y répondre avant d’assentir.

« Dès que l’on s’en rend compte, l’assentiment cesse d’être uniquement une vérification quasi mécanique saisissant les contradictions éventuelles entre les notions, mais il révèle son aspect réflexif. Il cesse d’être également une simple manifestation des notions et se montre comme un acte dans lequel la raison saisit sa propre perception des choses : c’est la raison qui, en tant qu’assemblage de notions, « crée » le sens de la représentation rationnelle, et c’est de nouveau la raison qui, dans l’assentiment, saisit le fait que quelque chose est bien telle chose (« ceci est une grenade »), c’est-à-dire son propre contenu exemplifié dans une situation particulière, en l’acceptant ou en le refusant. Pour cette raison, on peut dire que l’assentiment est un point de réflexion » (p.89).

En fait, nous n’avons pas plus de contrôle sur la représentation que l’assentiment qui y est associé et qui en pâtit d’une certaine manière. En revanche, nous avons un contrôle sur l’assentiment de la représentation rationalisée.  Dans le schéma récapitulatif qui suit, il faut donc bien avoir à l’esprit les deux aspects de l’assentiment : d’un côté, il pâtit de la représentation ; de l’autre il agit (en approuvant) sur la représentation rationnelle (un incorporel : le sens construit à partir de l’assemblage de notions). L’éthique stoïcienne permet d’accroître le second aspect de l’assentiment.

Structure raison

LA VERTU ET LA LIBERTÉ

Cependant, dans un tel schéma, on a l’impression que l’assentiment est tout de même exempt du destin. Il faut justement réintroduire la notion de vertu, de liberté et de destin dans l’analyse pour comprendre que ce n’est pas exactement le cas.

Pour ce qui concerne la vertu, l’auteur distingue différents aspects. La vertu est d’abord le bien unique dans le stoïcisme. C’est une position radicale car cela signifie que tout ce dont l’être humain a besoin pour être heureux-vertueux se situe en lui-même, grâce aux outils que la nature providentielle a placés en lui : la perception, l’impulsion et la raison, des éléments d’une âme entièrement rationnelle. Tout le reste (y compris la santé du corps, la vie sociale, la réputation…) est inutile pour atteindre la vertu/le bonheur.

Ensuite, la vertu est un bien naturel. Pour les stoïciens, le développement naturel de l’humain doit l’amener à « mettre la vertu au-dessus de toutes les autres choses, même sans connaître les principes du monde » (p.98). C’est le sentiment d’affection envers soi-même (oikeiosis) qui nous guide. Mes impulsions visent ma conservation. Quand on a une impulsion envers quelque chose, c’est par affection envers soi-même. Je veux cela pour mon bien. Et celui qui veut véritablement son bien doit naturellement suivre la vertu – le bien unique. Dans la réalité, la grande majorité des humains n’est pas vertueuse, et ne le sera jamais, parce que les passions (des jugements erronés résultant d’un mauvais usage de la raison) dominent bien souvent et trop peu sont ceux qui prennent le temps de la réflexion. Pourtant, sur l’échelle des êtres, il s’agit du prolongement naturel.

La vertu est aussi une façon d’agir. Il s’agit d’une disposition d’esprit stable qui impulse naturellement l’action droite ou appropriée (le kathèkon). Cela ne signifie pas que toutes les actions droites sont vertueuses (car l’insensé aussi peut faire des actions droites) mais que le sage ne peut faire que des actions droites car il agit sous une disposition d’esprit vertueuse. Ses actions sont dérivatives de sa vertu, contrairement à l’insensé.

La vertu est aussi une science. Mais une science particulière car elle ne se définit pas par son objet. Reprenant la clarification de Stobée, Vladimir Mikeš explique ainsi que la vertu est ainsi une science de la prudence (ce qu’il faut faire et ne pas faire), de la tempérance (ce qu’il faut choisir et ce qu’il ne faut pas choisir), de la justice (ce qu’il faut distribuer selon les mérites de chacun) et du courage (ce qu’il faut craindre et ce qu’il ne faut pas craindre) (p.127). Ce qu’il faut comprendre alors, c’est que la vertu est une science en contexte. On n’agit pas bien ou mal dans l’absolu mais toujours relativement à un contexte. Cette vertu-science est inséparable de la vertu-disposition.  

Mais comment atteindre la vertu ? En fait, elle est un point d’horizon naturel à l’action humaine. Notre comportement nous délivre une connaissance ordonnée sous-jacente à nos actions. Et même si nous agissons de façon contradictoire, la raison cherche à dépasser ces contradictions. L’ordre, la cohérence est la finalité des opérations de la raison. L’auteur explique :

« À l’égard de notre constitution, on fait depuis notre naissance certaines choses et on évite les autres, et sur cette même base, on poursuit la connaissance des choses et on continue encore dans le même sens par certains comportements envers les autres personnes, en restant toujours dans le cadre de ce même rapport au monde passant par le rapport à soi-même. On peut aussi imaginer que ce rapport inclut également une sensibilité aux contradictions qui peuvent émerger dans notre comportement et une tendance naturelle à les ramener à la concorde, même si l’on ne suit pas un enseignement philosophique. » (p.135).

Or, l’ordre parfait est celui de la vertu car c’est un système de notions stables. Mais pour que cet ordre soit vraiment parfait, il doit être perçu non seulement en tant qu’ordre nécessaire à la réalisation des actions appropriées de façon parfaite, mais aussi en tant qu’ordre inclus dans un ordre plus grand, celui du cosmos. A travers mon action envers les indifférents, je ne recherche pas tant la valeur de l’indifférent que la valeur du bien suprême, la seule qui compte. Or, ce bien suprême, c’est la nature qui l’a défini en moi à travers ma constitution, à travers mon ordre. Si je comprends parfaitement ce qu’a voulu de moi la nature, je suis vertueux : « la personne vertueuse sait qu’en tendant la main pour une boisson qui devrait lui servir pour regagner sa santé [ndr. un indifférent inutile au bien suprême], elle réalise un ordre qu’elle n’a pas inventé et qui pour cette raison manifeste un ordre plus universel. » (p.138). Pour atteindre la vertu, il faut donc s’entraîner à la réflexion, à la perception de l’ordre des choses, à l’assentiment critique. L’auteur ne s’attarde pas sur cela mais c’est ce que développe Épictète dans son Manuel.  

En résumé, notre raison dispose d’un espace de réflexion intérieur qui est celui où la raison fait sens des notions et peut rationaliser les représentations pour les approuver ou non. De ces représentations rationnelles dérivent des actions appropriées et rationnelles. Que l’indifférent préférable soit atteint ou non, cela n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est que l’indifférent choisi rationnellement permet de viser la vertu dans l’action. Ce n’est pas l’action qui témoigne de notre progrès, mais le fait qu’elle soit dérivative d’un progrès intérieur, d’une disposition d’esprit mieux ajustée, armée de convictions justes et rationnelles. Le destin n’est jamais absent de cela. Selon le chemin emprunté, que l’on choisit dans le point de réflexion, on subit ou on suit le destin. Les scénarii possibles sont alors les suivants. Soit on choisit de se laisser emporter par une représentation non rationnelle et alors on est tiré par le destin (ce qui signifie que même si on donne son assentiment aux conséquences de ce choix, on n’est pas libre car on a choisi le chemin irrationnel, qui n’est pas un chemin stable et propice à la stabilisation des notions) ; soit on interprète une représentation pour la rationaliser (à moins qu’elle n’émerge directement de façon rationalisée), et seulement là il est possible de suivre le destin. C’est le seul chemin qui permet une action libre et volontaire. Encore faut-il s’exercer à donner son assentiment aux événements qui nous sont extérieurs. Dans tous les cas, nos actions accomplissent toujours le destin car on suit ce qui paraît approprié à notre constitution, sauf que dans un cas, on suit ce qui est approprié à notre constitution de façon irrationnelle (on subit) ; dans l’autre de façon rationnelle (on suit). Mais personne ne peut prétendre avoir la science infuse. Un stoïcien vit donc son rapport au destin de la façon suivante : « il poursuit ce qui lui paraît être préférable à un moment donné, mais il sait à ce moment même que cette impulsion peut être erronée et se sent prêt à la corriger, et cela sur la base d’une compréhension que le résultat qu’il peut atteindre et qui peut se distinguer du résultat prévu, n’est pas moins préférable parce qu’il représente l’ordre du monde. » (p.150). En d’autres termes, un stoïcien sait qu’il sélectionne ces choses-là et pas d’autres car elles sont préférables pour elle-même et en tant qu’elles permettent l’intentionnalité de la vertu ; et en même temps, si la chose sélectionnée n’est pas obtenue, il ne s’en émeut pas car c’est l’ordre du monde qui le veut et c’est pour lui l’occasion d’exercer une nouvelle fois la vertu.

Structure 3
Structure générale de la psychologie de l’action (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

COMMENTAIRE CRITIQUE

Pour clore ce compte-rendu, il faut souligner que l’ouvrage de Vladimir Mikeš est très complexe et ne vulgarise pas vraiment son propos. Il n’est alors pas impossible que mes observations intègrent en réalité des interprétations personnelles de ce que j’ai cru comprendre de l’argument. Reste que l’auteur propose définitivement une approche originale du compatibilisme stoïcien, approche qui se veut aussi plus originelle. Pour redire autrement une nouvelle fois son interprétation, nous choisissons à chaque instant de suivre ou de subir le destin, d’abord au niveau du choix responsable (vais-je mettre du sens sur la représentation avant de l’approuver ou non ou vais-je subir ma représentation non rationnelle ?), ensuite au niveau de l’acceptation des conséquences de ce choix. Si j’ai approuvé ma représentation non rationnelle, je subirai dans tous les cas le destin ; mais si j’ai approuvé une représentation rationnelle ainsi que les conséquences de ce choix, alors je suivrai le destin. Si ce n’est que dans ces conditions que je peux suivre le destin, c’est parce que ma raison est un outil de la nature providentielle. Or, eu égards de la vertu, mieux vaut se déterminer par une raison/destin bien saisie que de se laisser déterminer par un chemin non-rationnel dont on ignore les déterminations.

Nous pouvons toutefois regretter pour le lecteur non initié l’absence de définitions claires de certains termes importants comme la notion d’ordre chez Cicéron ou l’usage de certains mots grecs. Aussi, la thèse de l’auteur se prête parfaitement à des schémas de vulgarisation que j’ai essayés de reproduire ici. Vladimir Mikeš a probablement été contraint par la rigueur académique de la discipline philosophique qui accepte difficilement d’autres formes d’expression que l’écrit, mais la présence de schémas dans l’exposé aurait indéniablement clarifié le propos. Il n’en reste pas moins que le travail réalisé est exemplaire et peut nourrir les débats du stoïcisme contemporain.  


Informations pratiques :
Le paradoxe stoïcien : liberté de l’action déterminée
Auteur : Vladimir Mikes
Première date de publication : 2016
Éditions utilisées pour le compte-rendu : Librairie philosophique J. Vrin, 2016
Nombre de pages : 184
ISBN : 978-2-7116-2634-2

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