Manual of Reformed Stoicism (Piotr Stankiewicz)

La modernisation du Stoïcisme est un processus qui semble s’imposer de lui-même. Lawrence C. Becker avait défriché le terrain dans son ouvrage A new Stoicism, publié en 1998. Son niveau de technicité ne le rendait néanmoins pas vraiment accessible au premier venu. Avec le Manuel du Stoïcisme réformé (Manual of Reformed Stoicism, 2020), le philosophe Piotr Stankiewicz offre une nouvelle interprétation du système, beaucoup plus claire, sans jargon ni dissertations théoriques, accessible à tous les publics et dédiée à la pratique ; au prix toutefois d’un minimalisme pouvant dérouter les lecteurs les plus familiers de la doctrine.

Manual of Reformed Stoicism

Manual of Reformed Stoicism

Le livre se structure en six grandes parties qui contiennent chacune plusieurs chapitres (24 au total). Chaque chapitre se construit de la manière suivante : un petit paragraphe « en bref » qui revient sur les idées clefs du chapitre ; une introduction sommaire qui explicite la logique de progression entre les sous-parties ; les sous-parties elles-mêmes qui se composent d’une citation suivie d’un commentaire. Cette organisation permet au lecteur de se repérer facilement et de personnaliser la lecture.

La réforme du Stoïcisme

Pourquoi l’auteur parle-t-il d’un Stoïcisme réformé ? Parce qu’il propose de nombreux changements par rapport à ce que l’on sait de la doctrine initiale et des autres interprétations modernes. L’auteur abandonne notamment l’idée que nos capacités de décision seraient liées à un quelconque ordre cosmologique préétabli ou que nos vies dépendraient d’une forme de puissance supérieure. Il choisit de se concentrer sur l‘autonomie de l’être humain. Trois évolutions principales peuvent être identifiées.

– Une notion centrale : le récit

Le premier changement est l’usage du mot de « récit » (narrative en anglais) en lieu et place « de ce que les anciens stoïciens appelaient ‘’conceptions’’, ‘’impressions’’, ‘’impressions sensorielles’’, ‘’imaginations’’ ou ‘’opinions’’ » (p. 315). Tout l’ouvrage s’articule autour de l’idée que notre liberté, notre responsabilité, notre bonheur se jouent dans le type de récits que l’on accepte dans notre esprit. Notre pouvoir sur les événements et les faits résident dans les histoires que l’on se raconte à leur sujet.

C’est sur cette idée – véritable colonne vertébrale du livre – que se développent tous les autres arguments. L’auteur invite ainsi à se débarrasser des récits inutiles, c’est-à-dire ceux qui nourrissent notre mal-être et à s’enrichir des récits utiles, c’est-à-dire ceux qui vont dans le sens de notre bien-être. Pour ce faire, il présente tout un panel d’exercices et de pratiques : la distinction entre les choses qui dépendent de soi (les récits) et celles qui n’en dépendent pas (tout ce qui n’est pas récit), le choix des mots, l’attention à soi-même, la conscience du présent, la clarification des valeurs et objectifs de vie, l’anticipation des mésaventures, la définition de rôles et de modèles… Le fait que les récits collent ou non à la réalité importe peu car cette dernière est jugée de toute façon inatteignable ou, du moins, car elle engage un nœud de questionnements épistémologiques insolubles.

– Un système cohérent et indépendant du monde extérieur

La deuxième évolution est le fait de proposer un système stoïcien entièrement cohérent et autonome, fonctionnant indépendamment du monde extérieur, des avancées de la science et en-dehors de toute métaphysique. Le Stoïcisme ci-présent n’exige aucune croyance universelle, aucune quête de la vérité, aucune référence au sacré. Il ne tient compte que de l’activité de notre esprit : nos attitudes, notre état mental, les récits que l’on se raconte. L’auteur présente simplement une boîte à outils pour reprendre le contrôle sur cette activité mentale. Libre à chacun ensuite de sélectionner les outils les plus pertinents par rapport à sa propre situation. C’est l’efficacité qui compte.

« Le stoïcisme réformé vise à être indépendant des grands récits et des explications universelles. D’où la réticence à l’égard de tout protocole unique qui associe un outil spécifique à un problème donné. Aucune réponse toute-faite ne conviendra à tout le monde. Dans le stoïcisme réformé, nous découvrons ensemble la boîte à outils, mais chacun décide pour lui-même. » (p.328)

– L’abandon des termes considérés comme flous

Cette modernisation centrée sur la pratique s’accompagne d’un certain minimalisme théorique. C’est le troisième changement. L’auteur abandonne complètement la partie physique et la partie logique de l’ancien stoïcisme. Il se refuse également à utiliser certaines notions qui ont un sens trop imprécis à ses yeux : Nature, Destin, Oikéiosis, hegemonikon, Logos…  « Ces concepts sont susceptibles de changer de sens au fil du temps, de s’estomper, d’être remis en question. Plus encore : notre façon de les comprendre repose inévitablement sur les contraintes historiques, sociales, économiques, politiques et autres de l’époque. Ainsi, après deux mille ans, nous n’avons que peu de connaissances sur leur signification originelle et, plus important encore, nous n’avons pas beaucoup de chances de construire une théorie éthique pertinente à partir d’eux » (p.322). Il ne développe pas non plus les idées au-delà de leur nécessité pratique.

Les 13 principes du Stoïcisme réformé, présentés par l’auteur dans la conclusion

Une pédagogie et un propos inclusifs, dans la tradition de l’école

Cette volonté de proposer un système autonome, reposant sur le concept central, compréhensif et universel de « récit » et d’abandonner les notions jugées obscures permet de construire un Stoïcisme réformé très accessible et non sectaire. L’auteur le dit ainsi : « Le stoïcisme réformé et ce livre sont adressés à nous tous, à tous les humains qui sont ouverts d’esprit et qui veulent améliorer leurs vies. Le seuil d’entrée du stoïcisme réformé est très bas, voire inexistant. Il n’y a aucune condition d’admission, aucun visa n’est requis. […] Le stoïcisme réformé est un système de vie universel qui fonctionne bien. Il est taillé sur mesure pour nous tous. Cela signifie aussi qu’il n’exclue aucunement ceux qui doutent. Ceux dont les convictions sont fermes et tranchées peuvent- évidemment !- être stoïciens aussi et ils en profiteront grandement. » (p.268) Dans sa volonté de s’adresser au plus grand nombre, Piotr Stankiewicz suit le chemin tracé par les stoïciens de l’Antiquité, qui privilégiaient une forme d’éducation populaire et œuvraient à la construction d’un système universellement individualisable.

Avis général

Ce stoïcisme épouse donc la courbe de (presque) n’importe quelle trajectoire biographique. Dans ce système, un stoïcien est quelqu’un qui se considère comme tel et qui s’efforce de reprendre le contrôle sur son activité mentale, ni plus, ni moins. Toutes les éventuelles « branches » du stoïcisme sont automatiquement admises dans ce stoïcisme fondamental tandis que l’inverse n’est pas forcément vrai.  

Je trouve cette interprétation convaincante et séduisante car elle est simple, compréhensible, fonctionnelle et malléable. Les seuls aspects critiques que je perçois sont assez légers :

1. L’auteur évacue trop rapidement, à mon goût, la logique stoïcienne alors même qu’elle est implicitement présente et qu’elle demeure utile pour travailler sur les propositions (ou récits) et qu’elle aurait pu aussi se réduire à un certain minimalisme pratique.

2. Il n’y a pas de description de l’idéal de sage stoïcien (réformé) – exercice plutôt classique – qui permettrait au lecteur de se fixer un cap. L’auteur invite plutôt à choisir ses propres modèles de sagesse selon sa propre sensibilité. Il aurait pourtant été possible de brosser un archétype inclusif et général, mettant en valeur un esprit cohérent, clair dans ses valeurs, heureux, etc. Le stoïcisme réformé appelle à un idéal de sage stoïcien réformé, qui illustrerait ce qu’il y a de commun entre les sages stoïciens, malgré leur diversité. 

3. D’après moi, l’ouvrage ne souligne pas assez (ou manque de souligner) la corrélation entre « suivre son devoir » et « suivre les récits positifs qui œuvrent à notre mieux-être ». Une lecture rapide pourrait conduire à considérer comme stoïcienne une personne se revendiquant comme telle et se racontant des récits de confort qui lui évitent la pénibilité de suivre son devoir ; alors même que le bien-être stoïcien se situe précisément dans le devoir de bien-être/bien-faire.

Au-delà de ces critiques mineures, je recommande pleinement cet ouvrage. Chaque page contient des éclairages pour l’action et la réflexion. Les formulations et les exemples sont limpides. Le lecteur n’est jamais brusqué. Il convient non seulement aux débutants mais aussi aux pratiquants de longue-date. Le stoïcisme réformé permet de dégager des principes de base essentiels du Stoïcisme « tel qu’on le connaît ». Certes, les pratiquants les plus « intellectuels » pourraient connaître une certaine frustration en l’absence des parties physiques et logiques et de certains termes centraux de l’ancien stoïcisme ; mais l’honnêteté serait de juger par la pratique l’efficacité de ce système centré sur la pratique. De façon générale, pour ce qui est des désaccords, la force de cette réforme est qu’elle est en mesure de les absorber. Elle ne se présente pas en opposition mais en complémentarité avec les autres formes de systématisation du Stoïcisme.


Informations pratiques :
Manual of Reformed Stoicism
Auteur : Piotr Stankiewicz
Première date de publication : 2020
Éditions utilisées pour le compte-rendu : Vernon Press
Nombre de pages :  340
ISBN : 978-1-62273-648-5
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2 commentaires sur “Manual of Reformed Stoicism (Piotr Stankiewicz)

  1. Je suis vraiment très intéressée par ce livre (Manual of Reformed Stoicism de
    Piotr Stankiewicz) mais qu’est-ce qui justifie son prix si élevé ?
    Merci d’avance

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