Entretien avec Stoa Gallica (Elen Buzaré et Jérôme Robin)

Elen Buzaré et Jérôme Robin sont membres fondateurs de l’association Stoa Gallica, la première association francophone de stoïcisme, fondée le 15 juillet 2017. Ils ont chaleureusement accepté de répondre à quelques unes de mes questions. L’entretien s’est déroulé le samedi 6 juin 2020.

Ci-dessous, le résumé de l’entretien (les questions et réponses sont raccourcies et légèrement reformulées).

La vidéo est en bas de page.

Un regard stoïcien (JB) : Comment en êtes-vous arrivés au Stoïcisme et à l’association Stoa Gallica ?

Elen : Je pense que j’avais à peu près une vingtaine d’année lorsque j’ai découvert les Pensées de Marc Aurèle et c’était vraiment par curiosité. La lecture de ce livre, ça a vraiment été une découverte, presqu’un choc. Par la suite, j’ai eu la chance de lire le livre de Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique? puis le livre qu’il a écrit sur Les pensées de Marc Aurèle. Il parlait en termes extrêmement clairs alors que les premiers livres que j’avais lus qui tentaient d’exposer le système stoïcien, il fallait parfois vraiment s’accrocher pour comprendre. La lecture de Pierre Hadot m’a menée, avec le développement d’internet, à me mettre en relation avec les premiers groupes anglo-saxons et, notamment, dès les années 2000 à peu près, avec un groupe de discussion Yahoo, The Stoic International Forum. Il était animé par Jan Garrett et Keith Seddon, et Keith Seddon a par la suite organisé un cours en ligne, de formation au stoïcisme, que j’ai suivi. À partir de 2012, il y a eu Donald Robertson et ce groupe d’universitaires anglophones (Modern Stoicism) qui ont commencé à créer des événements comme le Stoicon. Ensuite, il y a eu la création du groupe Facebook francophone. À partir de là, on a enfin commencé à rencontrer des francophones, on s’est rencontré, on a parlé et on a eu envie de créer l’association.

Jérôme : Mon parcours est assez similaire même s’il est plus tardif. J’ai découvert aussi le stoïcisme avec Pierre Hadot, avec les deux mêmes ouvrages, Qu’est-ce que la philosophie antique et Introduction aux pensées de Marc Aurèle, mais beaucoup plus tardivement, en 2014. Comme le disait Elen, il y a très peu de communauté francophone à l’époque et je me suis rabattu sur les groupes anglo-saxons, déjà bien développés, et j’ai rejoint la Stoic week 2014, une première fois, et je l’ai refait en 2015 et c’est là que j’ai rencontré Patrick Moisson, qui est donc actuellement président de l’association Stoa Gallica. C’est par ce biais-là qu’on est rentré en contact et que je me suis impliqué dans cette association. C’est assez récent globalement, comme mon développement sur la philosophie stoïcienne mais c’est un peu le même parcours qu’Elen.

Est-ce que vous avez une formation en philosophie ?

Elen : Pas du tout, à la base, j’ai une formation de droit, purement droit.

Jérôme: Moi une formation en physique.

Comment l’association s’est créée, concrètement ?

Elen : Cela s’est fait assez naturellement au cours des échanges sur le groupe Facebook, nommé à l’époque Stoïcisme contemporain, parce qu’un moment on se disait que les anglo-saxons avaient l’air très bien organisés et qu’il n’y avait aucune raison pour qu’on ne soit pas capables d’en faire autant. Donc ça a été le travail des rencontres et aussi beaucoup de Patrick Moisson, le Président, qui avait cette idée de création d’association dès le départ et qui a fait un gros travail de rédaction de première version des statuts, le droit selon lequel elle devait être enregistrée, etc. Il avait déjà un processus assez clair dans la tête, processus sur lequel je crois on s’est tous greffés. Il nous a beaucoup facilité les choses, puis une fois qu’on s’est rencontré physiquement, c’était lancé.

Jérôme : C’était clairement la première rencontre, dans une sorte de retraite philosophique on pourrait dire, qui a initié la chose et c’est vrai que Patrick est venu avec une idée en tête sur l’utilité de cette association, qui est de faire une sorte de vitrine française du stoïcisme contemporain. Vu que ça correspondait exactement à ce qu’on voulait développer … Et c’est aussi par le fait que moi je suis un autodidacte assumé sur l’apprentissage de cette philosophie et c’est extrêmement difficile quand tu fais ça par toi-même, quand tu n’as pas beaucoup de personnes avec qui en parler pour comprendre les choses et pour suivre un fil un peu plus facilement. Donc clairement, c’est très intéressant de développer cette association pour aider les futures personnes qui voudraient y adhérer.

Où se situe l’association Stoa Gallica ?

Jérôme : Elle est rattachée à Sélestat, depuis décembre 2017 mais la première rencontre a eu lieu en Haute-Loire dans un petit bled perdu au milieu de la campagne (à Armand).

Est-ce que les membres de l’association ont plutôt une formation en philosophie ?

Jérôme : Il y en a quelques uns qui ont une formation philosophique, Pierre Haese ou Maël Goarzin. Mais généralement, ils n’ont pas de formation spécifique en philosophie et on a des personnes très variées qui ont adhéré. Ce n’est pas une nécessité d’avoir une formation philosophique.

Du côté anglophone, notamment dans l’association Modern Stoicism, les membres sont plutôt des philosophes universitaires et psychothérapeutes. Peut-on dire qu’il s’agit là d’une différence ?

Jérôme : Oui, en France, les grands universitaires français qui travaillent sur le stoïcisme, comme Gourinat, Bénatouil, Veillard, Laurand… On a plein de gens mais personne qui s’y rattache de manière formelle en tant que pratiquant de cette philosophie, ou en tout cas ce n’est pas affiché clairement ; alors que du côté anglo-saxon, cela semble plus facile pour eux de s’afficher comme étant pratiquant de la philosophie qu’ils étudient.

Dans ce cadre de promotion/développement du stoïcisme contemporain, vous organisez quelques événements chaque année comme les séminaires de langues anciennes. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ces rencontres ?

Elen : Jusqu’à présent, quand on se réunissait, c’était essentiellement le bureau, à Armand, c’était essentiellement pour travailler sur le développement de l’association. Comme elle venait juste d’être créée, on n’était pas encore en mesure d’organiser de grands événements. C’est sûr que, peut-être pour la première fois cette année, si ça se maintient, Pierre Haese a pour projet d’organiser un séminaire autour du stoïcisme du 9 au 14 août, si cela est possible avec le déconfinement, et qui du coup serait ouvert là au grand public. Donc ça commence à devenir intéressant, même si c’est vrai qu’il faut faire venir les gens jusqu’à Armand, ce qui n’est pas évident mais en même temps le lieu est vraiment idéal en fait pour échanger, avoir une réflexion philosophique, peut-être plus qu’en ville. Donc on va voir si c’est maintenu avec la Covid-19.

Jérôme : Clairement, pour l’instant on est plutôt sur des rencontres visant à développer à la fois l’association et le site web et son contenu ; après on vise quand même à faire des événements comme la Stoicon, sur des formats courts. Un week-end peut-être, dans un endroit un peu moins isolé, ça peut être à terme une option. Après, il faut trouver le lieu, le support et les gens pour animer. C’est aussi un gros travail de préparation.

Quels sont vos projets de moyens et long-termes avec l’association ?

Elen : Notre prochain gros projet après la mise en ligne des premiers éléments du site web, ça va être de créer un parcours de formation dont les modalités sont encore à discuter. Je pense que ça va être un travail assez long, pour répondre aussi à la demande parce qu’on se rend compte qu’il y a quand même beaucoup de gens qui s’inscrivent sur le groupe Facebook qui en fait ne connaissent pas la philosophie ou ont juste entendu deux trois éléments. Il y en a beaucoup qui vont dire qu’ils n’ont pas de connaissances approfondies donc il y a quand même une demande de mise en place de ce parcours de formation. On va s’y atteler, mais ce ne sera pas pour tout de suite parce qu’il va falloir quand même qu’on rassemble plusieurs compétences et on s’attend quand même à ce que ce soit une réflexion assez lente car on voudrait faire ça le plus sérieusement possible.

Jérôme : On pourra avoir une approche un peu différente de Modern Stoicism aussi. On voit quand même que les groupes anglo-saxons ont une approche très centrée sur l’éthique et très peu développée sur la logique et la physique, qui sont peut-être plus difficiles techniquement ou en tout cas moins abordées. Nous, on pense que toutes les parties ont leur intérêt, qu’elles sont interconnectées et que ce serait dommage de les laisser de côté. Comme pour l’éthique de toute manière, je pense qu’il y a une actualisation qui est nécessaire. On pourrait faire ce travail de « remise à niveau » de la philosophie sur la base des connaissances actuelles. Donc ça c’est un gros chantier aussi, que ce soit sur la partie théorique ou la partie pratique. Et clairement, les anglo-saxons sont très pragmatiques dans leur approche donc forcément l’éthique est favorisée mais je pense que nous on sera un peu plus amené à aller chercher les autres parties, à les développer en cohérence avec ce qui se faisait à l’époque dans le Stoïcisme.

Comment va se présenter cette formation ?

Elen : On aimerait bien faire un format qui mélange vidéo, texte, etc. Après il faut aussi avoir les compétences pour faire des vidéos bien montées, bien faites. C’est vrai que tout le travail de Donald Robertson peut nous aider, parce qu’il a pas mal approfondi tout ce qui est exercice… alors lui dit exercices psychologiques mais on va dire spirituels dans la lignée de Pierre Hadot. Moi j’ai tendance à penser qu’il a pas mal continué l’oeuvre de Pierre Hadot tout en apportant son expertise de psychologue/psychothérapeute. Donc on va dire tout ce qui peut rendre le parcours « agréable » ce serait bien, on verra.

Jérôme : Il faut qu’on arrive à faire une progression pédagogique qui soit «cohérente et naturelle », qui n’amène pas à devoir lire 400 pages de théorie avant de pouvoir commencer la pratique. Donc il faut des choses tout de suite applicables mais basées sur des connaissances, donc ce sera un mixte comme ça, une première présentation plutôt théorique puis une application concrète juste derrière, en montrant bien les liens qu’il y a ensemble.

Est-ce que vous diriez qu’en France le stoïcisme contemporain se développe de plus en plus ? Est-ce que vous observez un intérêt pour cette thématique à travers les chiffres de fréquentation sur votre site internet ?

Jérôme : Ce qui est évident, c’est que depuis la mise en ligne du site, on a une meilleure visibilité qu’avant. C’est clairement vu et mesuré par la fréquentation du site et les retours qu’on peut avoir. Après c’est peut-être un peu tôt pour faire un retour d’expérience parce qu’il est en ligne depuis février 2020 . Par contre, la fréquentation du groupe Facebook, Stoïcisme contemporain, est en développement depuis quelques mois. Alors je ne sais pas si c’est en lien avec le Covid mais il y a un grand nombre de personnes qui s’inscrivent en ce moment et il y une grosse affluence par rapport à avant.

Est-ce que cela vous arrive de rencontrer des gens intéressés par le Stoïcisme dans la vie courante ?

Elen : Moi peut-être un qui était un ancien collègue, qui s’intéressait plus à la philologie en général, avec des thèmes assez communs au stoïcisme mais pas tant que ça au final. Avoir des discussions sur des thèmes de réflexion, sur comment bien mener sa vie, le sens de la vie, on n’en trouve pas tant que ça.

Jérôme : On n’a pas eu l’occasion non plus d’aller forcément beaucoup à la rencontre du public depuis qu’on a commencé le développement de l’association. J’ai fait une expérience intéressante de mon côté, j’ai été invité par un ami à animer des ateliers philosophiques sur le stoïcisme dans le cadre de leur association qui fait tous les mois des ateliers philosophiques mais sur tous les sujets, pas seulement le stoïcisme. Cela m’a permis de rencontrer des gens qui ont montré un intérêt mais je ne suis pas sûr que ça ait amené des vocations non plus. Comme on n’est pas au quotidien au contact de personnes dans un milieu philosophique, je n’ai pas l’occasion d’en rencontrer.

Est-ce qu’il y a un livre ou un auteur que vous conseillez/avez en favori?

Elen : Moi ça reste les Pensées de Marc Aurèle, le livre qui m’aura le plus marqué. Je continue à le lire régulièrement, on découvre toujours quelque chose en lisant Marc Aurèle. C’est celui qui me sert moi à me ressourcer et que je conseillerais en même temps à d’autres personnes ; et ensuite la lecture de Pierre Hadot pour clarifier les choses.

Jérôme : Pierre Hadot a au moins l’intérêt d’être très clair dans ses livres, donc ça permet une approche pour les gens qui ne sont pas du tout initiés à la philosophie stoïcienne ou autre ; moi, le Manuel d’Épictète mais traduit par Pierre Hadot avec ses commentaires, c’était une grande aide au départ. C’est très abordable et pas très cher en plus, moins de 5 euros je crois maintenant. Par contre, il y a Olivier D’Jeranian qui est membre du groupe Facebook, qui a une approche très intéressante maintenant, qui a développé pas mal de choses qui ne sont pas forcément en accord avec Pierre Hadot mais c’est toujours intéressant d’avoir un point de vue différent sur Épictète et ses principe par exemple. C’est vraiment intéressant, en fait il y a un ouvrage qui va bientôt paraître sur Épictète, il a fait une analyse complète sur les Entretiens, mais c’est un contenu très exigeant, pas abordable aussi simplement que ça. Il a aussi fait une traduction d’Épictète récemment, d’un très bon niveau, avec plein de notions et à la fin de l’ouvrage des applications au monde contemporain, ce qui montre que c’est toujours applicable à l’heure actuelle. Son ouvrage est très intéressant.

Un dernier mot sur l’association et où est-ce que les gens peuvent en savoir plus ?

Elen : Sur le site web, on a quand même développé une section assez détaillée pour présenter l’association, où les gens peuvent télécharger les statuts. Après de notre côté, nous on est toujours disponible, s’il y a des questions, notamment sur le groupe Facebook ouvert à tout le monde.

Jérôme : Sur Stoa Gallica, ils vont trouver une introduction au Stoïcisme, ce qu’on a nommé le Stoïcisme pour les nuls. Ce sont des courts articles qui permettent d’introduire un peu au moins les principes premiers et donner une idée de ce qu’il y a derrière et après effectivement, le plus simple c’est de rejoindre le groupe Facebook pour venir aborder différents sujets et s’il y a des questions. On est sur Twitter et LinkedIn également.


Stoa Gallica
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